‘LES PROBLEMES DE L’IMMIGRATION DANS LES « RÉGIONS » D’EUROPE CULTURELLEMENT ET NATIONALEMENT SENSIBLES’

LES PROBLEMES DE L’IMMIGRATION DANS LES « RÉGIONS » D’EUROPE CULTURELLEMENT ET NATIONALEMENT SENSIBLES

INTRODUCTION

Jusqu’à une époque très récente et qui ne remonte guère qu’à la deuxième guerre mondiale, la Bretagne était une terre d’émigration et non d’immigration. Des Bretons et des Bretonnes de toutes conditions sociales émigraient, principalement vers la région parisienne, considérée comme étant le centre du savoir, de la réussite sociale et du marché du travail.

Cette émigration se grossit encore dans les années d’après guerre. Le système centralisé de l’État français, où toutes les décisions de quelque importance sont prises par une haute administration qui a fait de l’État sa chasse gardée, a aggravé ce phénomène. Mais cette fois les émigrés Bretons et autres Auvergnats ne suffisaient plus à satisfaire les besoins accrus de main d’œuvre et à remplir tous les emplois non qualifiés, taches dans lesquelles nombre d’entre eux restaient très souvent confinés.

Les événements de la guerre d’Algérie aggravèrent d’autant plus cette évolution que nombre de Maghrébins et autres Africains et Asiatiques provenant de l’ancien Empire colonial de la France pouvaient facilement, aux termes du droit civil français, se réclamer de la nationalité française. Ni la Bretagne, ni les Bretons n’avaient auparavant été affectés de manière sensible par ces faits nouveaux. Ils risquaient cependant de l’être un jour.

C’est dans cette perspective, et dans celles qui confrontent d’autres communautés humaines historiques et culturelles aux identités fortement marquées qui subsistent dans nombre d’autres  «Grands » États européens, que j’ai participé à un colloque international au Val d’Aoste en novembre 1984. Ce colloque était placé sous l’égide du gouvernement régional du Val d’Aoste et organisé par le Centre International de Formation Européenne (C.I.F.E.). Ce centre organise toujours, chaque année en novembre, des « Entretiens sur le Régionalisme ». Ces colloques sont en général fréquentés par nombre d’hommes politiques, d’écrivains, d’historiens, de politologues, de décideurs économiques et de personnalités les plus diverses appartenant à toutes les écoles de pensée.

Leur point commun est, en général, d’être convaincus que seules les solutions fédérales et fédéralistes sont capables de résoudre pacifiquement les problèmes auxquels se heurte encore la construction d’une Europe des Peuples, des Nations et des Régions, une Europe où l’ensemble des diverses communautés humaines qui la composent seront capables de cohabiter en paix. C’est d’ailleurs là, on le sait, le thème majeur du livre que j’ai consacré à ces problèmes, et que j’ai symboliquement appelé «L’Europe aux Cent Drapeaux». Car nombre de problèmes, presque impossibles à résoudre pacifiquement dans le cadre d’un État fortement centralisé, comme l’est l’État français, peuvent beaucoup plus facilement l’être à une échelle politique plus réduite, celles justement que forment nos communautés humaines différenciées, aux fortes consciences identitaires comme l’est la notre, au sein d’une Europe « plurale » respectueuse de toutes les diversités.

Chaque peuple et chaque nation, et chaque minorité nationale, ont des droits collectifs exactement comme en possèdent chaque homme et chaque femme. Tous ces droits doivent être définis et respectés dans la société européenne de demain. Car aucun d’entre eux n’est  «identique»…

Je crois donc utile de reproduire ci-dessous, à la demande du POBL le texte du rapport que j’ai soumis à l’un de ces « Entretiens sur le Régionalisme » en novembre 1984, rapport dans lequel j’esquissais un certain nombre de solutions possibles à un problème qui devient de jour en jour plus actuel et plus préoccupant.

Yann Fouéré, mai 1999

Docteur en droit public et constitutionnel

CONFÉRENCE

Le phénomène de rejet ou d’allergie qui se manifeste de nos jours dans certaines régions ou dans certains centres urbains à l’égard des populations immigrées est, en Europe Occidentale, un phénomène relativement nouveau. Il est dû pour la plus large part à l’appel de main d’œuvre étrangère dans les centres industriels, à l’urbanisation croissante de la société et à la mobilité croissante de la population, autant qu’à l’accroissement quantitatif de la population du Tiers Monde qui, littéralement,  » déborde  » sur l’Europe. Au sein de l’État français, il est à rapprocher des problèmes posés par les populations noires aux États-Unis, antillaises et asiatiques dans les grandes villes anglaises.

Ce phénomène de rejet affecte d’abord les classes populaires et la main d’œuvre autochtone. Ce sont elles qui les premières, se sentent menacées dans leur emploi, dans leur mode de vie et dans leur environnement culturel par les nouveaux venus. Il est à remarquer cependant que ce phénomène n’était pas apparu d’une manière aussi vive tant que les agglomérations industrielles et les grandes villes s’étaient bornées à puiser leur main d’œuvre dans les campagnes voisines ou dans les régions européennes sous-développées qui ont été, pendant plus d’un siècle, leur réservoir habituel de travailleurs, de soldats ou de serviteurs. La crise actuelle apparait donc due principalement à l’apparition d’une immigration extra-européenne, de race, de couleur, de religion, de culture et de civilisation différentes.

Mais le rejet est dû aussi, très nettement, à la quantitativité de cette immigration. Il existe à son égard une sorte de seuil de tolérance au-delà duquel le phénomène se manifeste irrésistiblement. Il apparait lorsqu’une communauté urbaine ou une collectivité locale ou régionale se sentent instinctivement menacées dans leur intégrité et dans leur être collectif.

Il s’agit là d’un sujet qu’il est difficile de traiter avec la froide objectivité du technicien ou du sociologue non-engagés. Il possède des connotations affectives et émotionnelles. Il prête éminemment le flanc aux accusations de chauvinisme ou de racisme que l’on entend souvent jeter à ceux qui tentent de l’analyser froidement et qui cherchent à y remédier. Il en sera ainsi, nous semble-t-il, tant qu’on se bornera à l’apprécier en termes généraux ou en fonction d’idéologies préconçues. N’est-il pas possible de le dépassionner en étudiant justement des cas particuliers et des situations concrètes qui lui font perdre un caractère de généralité et d’universalité qu’il ne revêt pas partout ? N’est-il pas possible, en réduisant les données ou l’espace géographique, et en lui trouvant des précédents, d’aboutir à des solutions rationnelles d’un problème qui, en Europe, n’est pourtant pas entièrement récent.

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Il tombe sous le sens que les conséquences d’une immigration massive peuvent être particulièrement graves pour des minorités nationales, des collectivités linguistiques et culturelles, voire même religieuses qui sont liées à un espace géographique déterminé, espace qui, en général, ne coïncide pas avec celui de l’État dans lequel elles se trouvent englobées. Une minorité nationale, une nation sans État, sont des êtres collectifs dont la langue, la culture, la civilisation, l’espace géographique et l’intégrité physique ont besoin d’être sauvegardés et protégés au même titre que le sont de nos jours les individus et les personnes. Or, dans leur cas, cet être collectif ne peut se confondre avec celui de la collectivité étatique plus large dont elles font administrativement et politiquement partie. Une politique déterminée d’immigration de la part d’un État peut donc devenir, entre ses mains, un puissant moyen d’assimilation et de destruction des caractéristiques nationales et des particularités linguistiques et culturelles des minorités.

Si l’on aborde le problème sous cet angle, on s’aperçoit que l’être collectif des minorités nationales et des nations sans État n’est pas menacé seulement par l’arrivée d’une immigration extra-européenne massive. Il l’est aussi par l’arrivée sur leur territoire d’immigrants de même citoyenneté étatique, mais qui parlent une autre langue et possèdent des caractéristiques et des traditions nationales et culturelles différentes des siennes.

Les exemples abondent en Europe d’États qui ont utilisé au cours de l’Histoire, et utilisent encore, ce moyen pour  » assimiler  » leurs minorités et tenter de les faire disparaître. Inversement, le maintien, volontaire ou non, en état de sous-développement de régions culturellement différentes ou nationalement allogènes, oblige sa main d’œuvre à émigrer et à se fondre dans l’ensemble indifférencié des populations de l’État, ou à franchir les frontières. Souvent, l’État dominant accentuera encore la  » dénationalisation  » et l’assimilation des minorités en nommant      systématiquement sur leur territoire des fonctionnaires et cadres provenant d’autres régions de l’État, et non ceux qui en sont originaires que l’on nommera, eux, systématiquement ailleurs.

De nos jours enfin sont apparues des sortes de migrations volontaires, parfois massives, temporaires souvent, mais parfois permanentes, de populations à la recherche d’un climat géographique ou d’un cadre plus attractif que celui où elles vivent. Il ne faut pas se dissimuler que ces migrations, lorsqu’elles prennent un caractère passif comme elles le font par exemple en Corse, menacent gravement l’équilibre économique et social, l’environnement culturel et les caractéristiques nationales et linguistiques, voire même l’existence, des peuples et des minorités qui les subissent. Ici encore, il existe un seuil qu’il ne faut pas dépasser, un équilibre qu’il s’agit de définir. Qui pourrait apprécier ce seuil et en être juge, au sein de chaque peuple, au sein de chaque minorité culturelle de chaque région, mieux que les intéressés eux-mêmes ? II importe cependant que les structures politiques et administratives et les règles de droit leur en donnent les moyens, ce qui n’est encore de nos jours que fort rarement le cas.

C’est dire que les problèmes posés par l’immigration en Europe ne sont pas nouveaux : ils n’ont fait que prendre une acuité particulière depuis que des immigrations extra-européennes, dont il n’est pas possible de dissimuler les différences culturelles ou les caractéristiques raciales étrangères, se sont produites dans les années qui nous séparent de la deuxième guerre mondiale.

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Si ces considérations permettent, dans une certaine mesure, de dépassionner et de  « dédramatiser  » les problèmes posés presque partout en Europe par l’arrivée de populations émigrées, il n’en reste pas moins que les États et leurs gouvernements auraient été bien avisés de prendre conscience de leurs conséquences éventuelles. Il leur aurait suffi d’attacher plus d’importance à leurs effets et à leurs résultats dans les régions sensibles, au lieu de se refuser à, les prendre en considération. Car les phénomènes de rejet sont apparus de bonne heure au sein de ces dernières et bien avant que le problème généralisé qu’ils posent n’ait attiré l’attention du grand nombre.

Déjà, lorsque vers la fin des années vingt, le gouvernement britannique eut entrepris de construire un important centre d’entraînement et d’instruction militaire au sein d’une région exclusivement galloisante où l’anglais n’était jamais parlé auparavant, un groupe de nationalistes gallois le détruisirent. Ce précédent est encore suivi de nos jours. Nombre de résidences secondaires et de propriétés dans les régions galloisantes dont des anglophones se portent acquéreurs sont brûlées. En Bretagne, au Pays Basque du Nord, en Corse, des propriétés appartenant à des francophones étrangers au pays ont été détruites, de même que des panneaux de signalisation routière en français et des bâtiments administratifs de l’État.

L’une des revendications les plus anciennes du mouvement breton est la nomination, par priorité, de fonctionnaires bretons en Bretagne, et bretonnants parlant breton, en Basse-Bretagne. Le slogan occitan  » Volem viure al pais  » ne fait que traduire la réaction instinctive de l’être collectif de nos minorités nationales et linguistiques désireuses de survivre et d’échapper au départ qui en signifie la destruction. Les nombreux « I Francesi Fora  » qui fleurissent sur les murs de Corse traduisent le refus profond d’un peuple de disparaître, lors même qu’il est devenu minoritaire dans son propre pays. Ne faut-il pas donner à tous ces peuples et à toutes ces régions la possibilité et le droit, par des institutions appropriées, de protéger leur être collectif, plutôt que de les abandonner à leurs réactions de désespoir ? Et pourquoi tel citoyen, qui condamnera énergiquement ces réactions chez nos peuples, se trouve-t-il porté à les considérer comme compréhensibles et excusables à l’égard d’immigrés et de populations extra-européennes dont le nombre a fini par dépasser le seuil de tolérance dans la collectivité territoriale où il vit ?

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On se demandera certes, dans un et l’autre cas, quel est le remède. Certains douteront même qu’il y en ait un. C’est oublier cependant qu’il n’y a que fort rarement un remède général et universel à des maux et à des problèmes divers, circonscrits dans l’espace géographique ou limité dans le temps. On ne peut y apporter de solutions valables sans en réduire d’abord l’échelle et explorer  la diversité. Ce n’est plus après, pour les résoudre, qu’affaires d’institutions et de règles juridiques nouvelles, affaires d’administration courante et de politique quotidienne au sein de structures appropriées. On ne peut au départ que dégager des principes généraux d’organisation au sein desquels s’inscriront cette administration et cette politique.

Ici encore, le premier de ces principes d’organisation, c’est d’assurer pleinement, et dans les domaines les plus divers, l’autonomie des communautés de base de notre continent. Les Régions européennes, à plus forte raison si elles sont culturellement sensibles, les minorités nationales, les nations sans État, doivent disposer d’une autonomie politique et administrative la plus étendue possible au sein de l’Europe. Cette autonomie doit être assez large pour leur permettre de rester maîtresses en dernière analyse de leur politique de l’immigration et de l’emploi, de leur politique de la fonction publique, c’est à dire du choix des fonctionnaires appelés à y exercer des fonctions, de leur politique culturelle, de l’organisation de leur enseignement et de leurs mass média, maîtresses aussi de la politique d’utilisation et d’occupation de leur sol et des choix économiques qui devront présider à leur développement. Maîtresses de ces politiques et de ces choix, elles pourront recruter de préférence, si elles le jugent nécessaire, main-d’œuvre et cadres qui en sont originaires et que l’organisation actuelle des sociétés politiques massifiées et centralisées a contraint à l’exil. Elles pourront réduire et limiter le cas échéant, une immigration “étrangère »,  permanente ou temporaire, susceptible de menacer leur équilibre social et leur spécificité culturelle.

Certains objecteront qu’une politique de genre peut se trouver en contradiction avec les principes de la liberté d’établissement reconnue par le Traité de Rome à tous les citoyens de la Communauté sur l’ensemble de son territoire. Il ne s’agit là que d’une apparence. Pour veiller à l’application de l’équivalence des diplômes, corollaire nécessaire de la liberté d’établissement, nul ne trouve étrange qu’il faille faire la preuve d’une connaissance normale de la langue du pays d’accueil. L’on trouve également normal que ce droit soit refusé à qui ne peut démontrer qu’il ne sera pas à la charge de la communauté dont il désire devenir membre, mais qui n’est pas encore la sienne.

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Il ne manque pas d’exemples en Europe où des réglementations sont apportées à l’exercice et à l’application de ce principe général de liberté qu’il ne s’agit pas de remettre en cause. Ces réglementations sont beaucoup plus faciles à accepter et à appliquer sans soulever de problèmes émotionnels majeurs dans un monde composé de collectivités autonomes y de dimensions relativement réduites, que dans le cadre de grands États centralisés. Partout où des réglementations de ce genre s’appliquent déjà, elles sont faites, tantôt pour protéger les droits prioritaires des autochtones à la propriété de leur sol, tantôt pour assurer la survie économique de la communauté, tantôt pour en protéger l’identité culturelle.

Dans les îles anglo-normandes, priorité est toujours légalement donnée aux autochtones pour l’achat d’une quelconque propriété immobilière. Il existe même à Jersey, un seuil au-dessous duquel nul  » étranger  » ne peut se porter acquéreur. En Andorre, nul ne peut devenir citoyen andorran et jouir des droits divers que cela comporte, sans faire la preuve d’une ascendance andorrane remontant au moins à la troisième génération. Dans certains Cantons suisses la citoyenneté cantonale, et, par conséquent la citoyenneté suisse, ne peut être conférée qu’à quiconque parle et pratique la langue parlée dans le Canton. Aux îles d’Aland, qui font territorialement partie de l’État finlandais, nul ne peut acheter une propriété ou fonder un commerce sans être suédophone

Si, au demeurant, des conflits peuvent parfois s’élever sur l’interprétation des mesures protectrices de l’intérêt économique ou de l’identité culturelle d’une minorité, d’une communauté territoriale distincte ou d’une région déterminée, une série de recours juridiques et d’appels juridictionnels doivent être ouverts aux personnes et citoyens qui s’estiment lésés. A cet égard, il parait nécessaire que la Convention Européenne des Droits de l’Homme soit complétée par des Conventions Européennes pour la protection et la sauvegarde des minorités ethniques et culturelles et des langues européennes de moindre diffusion. Ces Conventions devront normalement s’appliquer dans toutes les Régions et Collectivités autonomes de l’Europe, qui ne doivent en aucun cas se confondre avec les Grands-États-Nations historiques dont l’artificialité, sur bien des points, n’est plus à démontrer

Yann Fouéré 1984 Saint-Vincent d ‘ Aoste

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