Échec à l’Europe des États.
L’échec de la Conférence du 17 avril qui réunissait les Ministres des Affaires Étrangères des Six puissances européennes engagées dans le Marché Commun, contre que la construction de l’Europe politique se heurte à des obstacles. La vérité est que les trois petits États de l’Europe des Six, la Hollande, la Belgique et le Luxembourg, se méfient profondément d’une Union politique de puissances souveraines qui seraient automatiquement dominés par les grands, et notamment par le tandem France-Allemagne. Ils répugnent d’autant plus à accepter l’Europe des États du Général de Gaulle que celui-ci entend la limiter à l’Europe du marché commun ou rien, pour le moment, ne peut faire équilibre à la prédominance franco-allemande, et que de plus il refuse la création d’un pouvoir exécutif européen supranational, dont les décisions devraient s’imposer aux grands comme aux petits….
Dès lors il apparaît que la construction de l’Europe est incompatible avec les conceptions du Général de Gaulle et l’on ne peut que partager la méfiance que les petits États éprouvent à son égard. Ils se demandent si le Général, ayant procédé à la liquidation totale de l’Empire français, et qui plus est de l’Algérie, ne va pas essayer d’appliquer à l’Europe sa conception de la grandeur française. Or s’ils veulent s’unir au sein de l’Europe ils ne veulent le faire qu’en partenaires égaux et ne sont pas plus disposés à accepter la prédominance de la France que celle de l’Allemagne. Le manque de clarté et de précision de de Gaulle au sujet de l’Europe, les distances qu’il prend vis à vis de l’alliance atlantique, la duplicité dont il a constamment fait preuve, au long d’une carrière glorieuse mais sanglante et tragique, ne sont pas faits pour dissiper leurs craintes.
Toutes ces raisons expliquent pourquoi la Belgique et la Hollande se sont refusées, le 17 Avril, à s‘engager avant que la Grande Bretagne n’ait été appelée à faire partie du marché commun et par vois de conséquence de la future Europe politique. L’une et l’autre y voient la seul puissance susceptible de faire l’équilibre au tandem franco-allemand, susceptible aussi de s’opposer à la prédominance française. Ils sentent de plus l’orgueil de de Gaulle pardonne difficilement à l’Angleterre de lui devoir son accession au pouvoir en 1945 et que, dans l’ensemble, les Britanniques lui rendent bien la froideur dont il fait preuve à leur égard... Il est peu probable que la réunion qui aura lieu à Athènes le mois prochain ait un résultat différent de celle de Paris.
L’opinion bretonne ne peut que se réjouir de la fermeté des petites nations et de leur volonté de faire échec à l’Europe des États, qui ne serait qu’un simple directoire de Puissances. Il est impossible de bâtir une Union ou une Fédération européenne valable sans y inclure les nations d’Europe qui sont restées jusqu’ici en dehors du marché commun, et sans la doter d’une autorité supranationale véritable, capable de tenir en échec la souveraineté absolue dont jouissent encore aujourd’hui les États. La Bretagne ne pourra s’épanouir que dans une Europe dégagée de la féodalité des grands État, au sein de laquelle elle devra être dotée d’institutions politiques et administratives particulières qui pourront lui permettre de se développer sans les entraves que lui imposent aujourd’hui la souveraineté étatique absolue de la France. Seule une Fédération européenne des peuples pourra par delà les États, et au besoin contre eux, mettre un terme aux droits de vie et de mort que, grâce au centralisme administratif et politique, le gouvernement de Paris possède aujourd’hui encore sur la Bretagne et sur l’Avenir des Bretons.
Yann Fouéré
C’est de nous que viendra le salut… Yann Fouéré
Joseph Martray dans la Vie Bretonne et Pierre Laurent dans 1’Avenir ont analysé à leur tour, dans deux articles d’inspiration identique, la situation politique née des dernières élections.
Stabilité gouvernementale assurée, gouvernement de législature, possibilité d’un dialogue avec des ministres stables, nécessité pour le CELIB et autres organisations bretonnes d’inciter le gouvernement à passer des mots et des textes aux actes: « rien ne permettant de mettre en doute les intentions du régime à l’égard de la Bretagne” etc… On ne saurait rien reprocher à cette analyse sur le plan de la logique, du raisonnement et de 1’intelligence. Nous sommes prêts de notre coté à juger le gouvernement en seule fonction de ses actes à l’égard du problème breton, exactement comme nous étions prêts à juger sous le même angle tous ceux, quels qu’ils soient, qui l’ont précédé.
Au risque de nous répéter cependant nous devons ici rappeler certaines vérités essentielles. La logique et la raison n’ont jamais été en France affaire de gouvernement. Et si logique il y a, elle est dans la continuité de la politique centralisatrice qui a animé tous les régimes politiques sans exception qui se sont succédés en France depuis Napoléon 1er. Cette continuité centralisatrice et dictatoriale, elle l’a due non aux gouvernements, tous animés, quelle que soit leur couleur, de bonne volonté et de bonnes intentions que tout le monde était prêt comme aujourd’hui à juger à leurs actes, mais à l’inébranlable permanence à la tête des mêmes administrations centrales, d’un millier de hauts fonctionnaires imbus de la même tradition et de la même pensée centralisatrice, autoritaire et niveleuse qui animaient déjà les légistes et les intendants de le monarchie.
On comprend dès lors que nous ne sommes guère optimistes sur le désir ou la capacité du gouvernement de législature que nous connaissons, gouvernement qui est lui-même composé pour la plus large part de hauts technocrates nourris dans le sérail, à changer quoi que ce soit à la politique centralisatrice de la France. Or s’il est évident aujourd’hui, de l’aveu de tous, que c’est de cette politique là dont nous souffrons, c’est elle qu’il faut d’abord changer. Pouvons-nous compter sérieusement pour le faire sur ceux qui en sont les bénéficiaires? Au lieu d’une refonte totale des institutions et des structures politiques et administratives seule capable de mettre fin à la centralisation criminelle responsable du désert français, il y a gros à parier qu’ils nous offriront tout au plus quelques réformettes partielles qui essaieront d’endormir le mal pour apaiser l’opinion, mais non de le guérir. Marie-France a raison cependant d’affirmer dans son dernier livre qu’il met au défi qui que ce soit, homme ou gouvernement, de réaliser les changements profonds qui sont aujourd’hui nécessaires « si les problèmes institutionnels n’ont pas d’abord reçu une solution correcte. »
Nous avouons ne pas partager non plus l’optimisme affecté par Joseph Martray sur les possibilités d’action des élus de Bretagne au cours de la législature, bien qu’ils aient tous, ou presque, donné leur adhésion au CELIB, ne fut-ce que pour des raisons électorales évidentes. La majorité d’entre eux n’a, par définition, d’autre programme que de servir le gouvernement. Si certains sont de bonne volonté certains autres ne se donnent même pas la peine de cacher leur hostilité au CELIB auquel ils adhèrent pourtant. Le triste M. de Poulpiquet par exemple n’a-t-il pas fait ce qu’il a pu pour empêcher le conseil Général du Finistère de renouveler sa subvention annuelle à cet organisme?
Quel espoir pouvons nous dès lors logiquement conserver de voir le pouvoir prendre en considération nos problèmes? Si les députés ne font que ce que leur demande le gouvernement, et si le gouvernement ne fait que ce que lui conseillerons le millier de hauts fonctionnaires irresponsables qui constituent le gouvernement réel, que nous reste-t-il?
Je l’ai dit au Congrès de St Brieuc: il ne nous reste que nous-mêmes d’une part, et le Président de la République de l’autre: entre ce dernier et l’opinion publique bretonne il n’y a aucun intermédiaire valable. Le Président de la République est le seul qui puisse forcer le gouvernement à forcer la main aux hauts fonctionnaires et à infléchir ainsi, par son action personnelle, l’avenir du pays, privilège dont il est clair qu’aucun de ses prédécesseurs, depuis le Second Empire, n’avait joui avant lui.
Le Général de Gaulle peut donc, s’il le veut résoudre nos problèmes. Mais il ne pourra le faire et il ne le fera que si les clameurs des Bretons sont, un jour, assez puissantes pour percer les murs épais de l’Élysée, que si nous lui faisons sentir, par tous les moyens possibles, même les plus bruyants et les plus spectaculaires, que nous exigeons que la Bretagne vive. Ce n’est que cette seule condition que le Président de la République sera en mesure de forcer la main à des technocrates hostiles, si du moins il ne se laisse pas circonvenir par eux.
C’est donc de Bretagne, et de Bretagne seulement, que peut venir le salut. Et si ce salut vient un jour de Paris ce ne sera que lorsque Paris jugera sage et habile d’entrer dans la voie des concessions et d’entériner ce que les Bretons auront eux-mêmes décidé.