Y.F.:- Portrait

Portrait de Yann Fouéré écrit par Christian Martin pour le Tome XXIV , Année 2004, dans ‘ Le Pays de Dinan ‘.

YANN FOUERE
PORTRAIT D’UN JOURNALISTE ET ÉCRIVAIN ENGAGÉ

Avec le recul des ans qui apaise les passions et permet d’apprécier plus sereinement les comportements, il est vraisemblablement plus facile, soixante ans après, de retracer le parcours pour le moins étonnant d’un journaliste et écrivain évrannais, dont les opinions autonomistes ont été à l’origine de sa condamnation par les tribunaux d’après-guerre.
Autonomiste, ou plutôt régionaliste au sens strict du terme, Yann Fouéré a été finalement blanchi des accusations alléguées de collaboration avec les autorités allemandes qui l’avaient forcé à prendre le chemin de l’exil.
C’est donc sans arrière pensée politique ou volonté de juger que je vais essayer de dresser le portrait de Yann Fouéré, tout d’abord fonctionnaire de la République, puis de l’Etat français. Fonctionnaire au Ministère de l’Intérieur, journaliste, sous-préfet, directeur de journaux, mareyeur et enfin auteur de très nombreux livres, celui-ci fit couler, en son temps, beaucoup d’encre durant la période, parfois trouble, de la Libération.
Condamné par contumace en 1946, aux travaux forcés à perpétuité, il fut absout beaucoup plus tard, en 1955, des crimes contre la sûreté de l’Etat et de collaboration avec l’ennemi dont il était accusé, par le Tribunal des Forces armées ; non sans toutefois avoir été incarcéré de nombreux mois entre 1944 et 1945, puis plus tard, en 1975, lors de la résurgence des attentats commis par le F.L.B.

LES FOUÉRÉ, UNE TRÈS VIEILLE FAMILLE ÉVRANNAISE

Mais qui est donc Yann Fouéré ? La famille Fouéré, quant à elle, est une vieille famille évrannaise dont les origines remontent, pour le moins, au XVIIe siècle et qu’on retrouve, à cette époque, au Bas Breil en Evran. Si les Fouéré furent surtout dans leur ensemble, tout au moins à la lumière de ce que l’on en connaît, des laboureurs. Henri Frotier de la Messelière fait cependant état, dans son ouvrage « Documents pour servir à l’histoire des principales familles de la paroisse d’Evran », d’un maître Eustache Fouéré, sieur de la Basse Rivière, mort en 1662 à 60 ans ; ainsi que d’un François Fouéré né vers 1640, alloué du Besso et officier de plusieurs juridictions, décédé à la Basse Rivière en 1648. Probablement une branche cousine de la première citée. Yann Fouéré note dans son livre « La patrie interdite », qu’on retrouve dans les anciens actes des registres paroissiaux évrannais, des Eustache, Jean, Jacques et François Fouéré, notables de leur village, bailles ou syndics, depuis le règne de Louis XIV : « Mes racines remontent fort loin dans cette terre bretonne d’Evran, à la limite nord du bassin de Rennes. Je dois beaucoup à cette vieille souche paysanne de notre pays gallo, aux réflexes lents, mais à la conscience sûre et au jugement droit ».
Les grands-parents Fouéré n’étaient que les métayers de Pierre Hersart de la Villemarqué (le père de l’auteur du célèbre Barzaz Breiz, Théodore Hersart de la Villemarqué) qui possédait la métairie du Bas Breil. Elle ne devint la propriété de la famille Fouéré qu’au début des années 1900, juste après la mort du grand-père de Yann.

Comme nombre de Bretons, ce dernier naquit en dehors des limites de la Bretagne, conséquence et hasard des affectations de Jean Fouéré, son père, inspecteur de l’Enregistrement. À ce moment, il devait être bien sûr évident pour l’administration, qu’on n’aurait su nommer un Breton en Bretagne où, a contrario, percepteurs et préfets corses avaient toutes chances de s’y voir affecter…

Yann Fouéré vit donc ainsi le jour, le 26 juillet 1910, à Aignant, un chef-lieu du Gers, en plein pays d’Armagnac. Que ce garçon ait souffert, malgré lui, dans sa bretonnité, de ce lieu de naissance fortuit, c’est certain, car le reproche d’avoir vu le jour hors Bretagne lui fut fait maintes fois . « Vous n’êtes pas Breton, puisque vous n’êtes même pas né en Bretagne… », cette dernière condamnation, sans appel, était le fait d’un Brestois, Charles Chassé, enseignant, auteur, critique littéraire et d’histoire de l’art, à « La Dépêche de Brest », l’ancêtre du « Télégramme de Brest ».
Cela appelle, à l’inverse, un commentaire du journaliste et écrivain nantais, Morvan Lebesque, chroniqueur apprécié du journal satirique « Le Canard Enchaîné » et disant à peu près ceci : « Quand bien même serais-je né par hasard en Chine, de parents bretons, je n’aurais pas les yeux bridés pour autant… ».

Dans son livre « La patrie interdite », Yann Fouéré brosse un portrait de sa grand-mère évrannaise qui est demeurée très vivante dans ses souvenirs : « Elle portait la catiole, petite coiffe minuscule du pays de Dinan, perchée sur ses cheveux bien lisses et tirés, retenus par une résille et encadrés d’une bande de velours noir. Elle portait aussi, le dimanche, le grand châle noir à franges et la devantière ornée de dentelles noires… ».
A la mort de son mari, au début des années 1900, elle continua d’exploiter la ferme du Bas Breil avec l’aîné et le plus jeune de ses fils. Jean, le cadet et père de Yann, fut, lui, envoyé aux Cordeliers à Dinan, afin d’y poursuivre des études secondaires et préparer le concours d’entrée à l’Enregistrement.

RÉFUGIÉS EN PAYS BRETONNANT

Ce passage en Gascogne fut d’ailleurs fort court, car Jean Fouéré, à la faveur d’une promotion, put se faire nommer à la Direction de l’Enregistrement à Rennes, deux ans plus tard. La famille y est déjà solidement établie, lorsqu’éclate le conflit de 1914. La mobilisation du père va entraîner le repli des Fouéré chez les grands parents maternels Liégard, pharmaciens à Callac, un chef-lieu de canton dans les anciennes Côtes-du-Nord.

Dans ce pays bretonnant, on s’exprime bien sûr encore en breton au sein des familles. Yann va d’ailleurs vivre son premier choc émotionnel, quand en âge de fréquenter l’école primaire communale, il découvre l’interdiction, sévèrement réprimée de s’exprimer en cette langue. Il en est également de même à l’école des Sœurs voisine, dont sa propre sœur suit les cours. Bien que n’en étant pas encore au stade de la révolte qui présidera plus tard à son engagement, il dit avoir commencé à ressentir un premier étonnement, en voyant son directeur d’école distribuer généreusement « taloches et punitions à mes camarades du bourg et des environs, s’il les entendait parler breton, en jouant dans la cour de récréation ». Il éprouve alors son premier sentiment d’injustice.

Une autre surprise, pour ce jeune élève passionné d’histoire, est de se rendre compte que si l’histoire de France est abondamment traitée en détail dans les manuels, celle de Bretagne, par contre, brille par son absence. Si cela lui semble, tout au moins au début, quelque peu naturel, son véritable sentiment du particularisme breton ; Yann Fouéré va le découvrir, tout à fait par hasard, en mettant au jour dans une vieille malle du grenier familial, un manuscrit non terminé d’une histoire de Bretagne, écrit par son grand oncle et accompagné de notes personnelles. Cette trouvaille sera le véritable déclic qui va avoir une profonde influence sur l’orientation de son comportement futur.

UN LYCÉEN PARFOIS BRILLANT, MAIS TOTALEMENT INDISCIPLINÉ.

À la fin de la guerre, un nouveau changement de vie s’amorce, car Jean Fouéré, démobilisé, retrouve provisoirement sa situation d’inspecteur de l’Enregistrement à Rennes. Ce sera pour peu de temps, il est en effet appelé à Paris, pour occuper le poste de directeur du secrétariat du député guingampais, Yves Le Troquer, nommé ministre des Travaux publics.
Entre-temps, le décès du grand-père Liégard à conduit son épouse à vendre la pharmacie de Callac, puis à déménager et résider à Saint-Brieuc.
Cet enchaînement d’événements sera l’occasion, pour la famille, de se rapprocher d’Evran et de la ferme du Bas Breil où la grand-mère Fouéré avait fait construire, tout spécialement, une dépendance « Afin que Jean puisse recevoir dignement la demoiselle de la ville que son fils avait épousée ».
Néanmoins, la nouveauté de la situation appelle à réorganiser la vie familiale. Pas question tout d’abord pour Yann, qui a 12 ans, de suivre ses parents à Paris. Grand’maman Liégard l’accueille à Saint-Brieuc où durant un an il va suivre les cours de 6e à Saint-Charles et y faire sa communion solennelle.

sc00048de32.jpg A 12 ans, Premiere Communion de Yann qui est élève au Lycée Saint-Charles de Saint Brieuc.

Le jeune potache n’éprouve guère d’intérêt pour la « cité gentille » qu’il est heureux d’enfin pouvoir quitter et rejoindre ses parents en région parisienne.
Demi-pensionnaire au lycée Montaigne, puis à partir de la 4e à Louis Legrand, où ses condisciples ont pour noms, entre autres, Michel Debré et Philippe Daudet, il s’y signale comme un élève médiocre, peu motivé en certaines matières comme les maths. Par contre, il excelle en histoire et en dissertation française.
Vocation précoce ? À 13 ans et avec la contribution de sa sœur, Yann crée son « premier journal », un mensuel recopié laborieusement à la main, en une dizaine d’exemplaires et vendu aux membres de la famille.

Le séjour parisien va durer quatre années, de 1920 à 1924, mais le propre des gouvernements étant, par essence, l’instabilité, les élections de 1924 amènent un changement de majorité. Yves Le Troquer doit céder la place et Jean Fouéré va retrouver son emploi de receveur des Finances au Trésor public.
La nouvelle affectation du papa, à Clermont, dans l’Oise, ne permet pas au fils de suivre ses parents. En désespoir de cause, il doit intégrer l’internat au lycée Louis Legrand. Collectionnant punitions, retenues, interdictions de sorties, passages devant le conseil de discipline, Yann Fouéré avoue que : « C’est sans doute de cette période de mon existence que date le constant irrespect à l’égard des règlements, des lois et des contraintes de toute nature qui devaient inspirer toute ma vie postérieure et que mon combat pour la Bretagne allait encore aiguiser ».
Devant autant de constance dans l’avalanche de punitions qui obérait toute poursuite satisfaisante de ses études, les parents Fouéré ne purent que rapatrier leur fils sur Clermont où, en dépit de fortes mauvaises notes en maths, il put passer avec succès les deux parties de son baccalauréat.

ÉTUDES, JOURNALISME ET MILITANTISME

Bien qu’il avoue n’avoir été que médiocrement attiré par une carrière de fonctionnaire, c’est sur l’insistance de son père se souvient-il, soixante-quinze ans après, que Yann va choisir cette voie,. L’objectif :à atteindre, intégrer la Faculté de Droit ou l’École des Sciences politiques, tout en refusant, en son for intérieur, d’avoir une mentalité de « retraité avant l’âge ».
Avant de s’engager dans le militantisme, il n ‘avait donc eu garde d’oublier les paternelles pressions quant à son devenir professionnel . Yann Fouéré s’inscrit au cours de préparation à l’Inspection des Finances de l’École des Sciences politiques, conjointement aux cours de la faculté de Droit. S’il obtient son diplôme, conquis de haute lutte en 1930, pour la première administration et dans le rang fort honorable des quinze premiers, la licence en Droit lui pose un peu plus de problèmes. Après un échec à l’oral en juin, il lui faudra attendre la session de septembre pour accéder enfin au précieux parchemin.
Le vieil adage, « Il n’y a que le premier pas qui coûte », s’avère particulièrement vrai dans son cas. Yann va manifester une boulimie extraordinaire dans une course aux diplômes et certificats,.couronnée d’ailleurs d’une totale réussite : licence de lettres, certificat de lettres en sociologie et en géographie économique, diplôme d’études supérieures de Droit public et constitutionnel… Ce dernier diplôme est, de plus, obtenu alors qu’il effectue son service militaire à la caserne Royalieu de Compiègne, non loin du domicile familial où il a pu être incorporé, grâce aux relations paternelles.

Une fois libéré de ses obligations militaires, en novembre 1932, .le jeune diplômé rejoint la résidence de la Cité universitaire, boulevard Jourdan à Paris. Là, il s’absorbe totalement dans la préparation de plusieurs concours inhérents à différents ministères.
Deux ans plus tard, au cours du premier semestre 1934, tradition oblige, Yann passe le concours d’entrée au Ministère des Finances. Les maths de l’oral, matière où il n’a jamais brillé, lui jouent un très mauvais tour. Cet échec sera compensé par un succès total à celui du Ministère de l’Intérieur, d’où les fameuses mathématiques sont absentes. Ceci dispense finalement notre Breton d’avoir à faire un choix douloureux.
La lecture des ouvrages de Pitre Chevalier et de Laborderie, sur l’histoire de la Bretagne, est pour lui une réelle découverte qui va l’amener insensiblement vers le Mouvement breton. C’est de 1934 que date sa véritable adhésion à celui-ci, conforté par une rencontre avec le journaliste, poète et historien, Camille le Mercier d’Erm. Ce dernier était cofondateur du Parti National Breton et directeur du journal « Dinard-Côte-d’Emeraude ». Yann Fouéré y fait ses premiers pas de journaliste, par le biais de quelques articles.
Dans la foulée, au cours de cette même année, il collabore également à « La Bretagne à Paris » et crée le premier cercle des étudiants bretons de Paris. C’est aussi en 1934 qu’il fonde, après avoir suivi des cours de breton qui se déroulaient dans une arrière-salle d’un café de la place Saint-Sulpice, « l’Union pour l’enseignement du breton dans les écoles » (Ar Brezoneg er skol).
Morvan Lebesque, dans son livre « Comment peut-on être Breton », note : « C’est en 1934, pour la première fois, sur l’initiative de Yann Fouéré, que la base se manifeste, une commune, Guerlesquin, réclame l’enseignement du breton ; quatre ans plus tard – avril 1938 – 305 communes de Basse-Bretagne adoptent le même vœu, soutenues par 37 communes non bretonnantes… ».
A l’heure actuelle, il se remémore les nombreuses démarches effectuées auprès du Ministère de l’Éducation Nationale où la réponse à ses requêtes se trouvait invariablement suivie de : « Oui, mais, quel breton allez-vous enseigner ? Il y en a trente-six… ».. Il ajoute avec un certain brin de nostalgie : « En 1934, on comptait 1 200 000 bretonnants, aujourd’hui on en compte seulement un peu plus de 250 000… ».

FONCTIONNAIRE DE LA RÉPUBLIQUE ET MILITANT BRETON

Engagé comme rédacteur au Ministère de l’Intérieur, le tout nouveau fonctionnaire revient passer régulièrement ses vacances à Evran pour lequel bat son cœur, en dépit parfois d’un possible tiraillement avec ses racines maternelles basses-bretonnes.
Au Ministère de l’Intérieur, Yann Fouéré avoue, un léger sourire amusé aux lèvres, que l’ambiance y était quelque peu identique à celle décrite assez férocement par Courteline dans son livre « Ces messieurs les ronds de cuir ». La charge de travail, minime et légère, lui permet de mener de front toutes ses activités extra professionnelles, tout en rognant un peu sur ses loisirs et prolongeant souvent ses heures de travail, jusque fort tard dans la nuit .

Au cours des années 1930, ses activités militantes ne représentaient qu’une assez faible partie de son temps. À l’initiative d’un ancien élève des Cordeliers de Dinan et ami de son père, Paul Brousmiche, il avait été nommé commissaire national aux jeunes d’une association d’anciens combattants. Cette association, « l’Union Fédérale », de tendances politiques orientées vers le Centre-gauche, avait pour entre autres vocations de créer des groupements internationaux de jeunes, chargés d’épauler son action en faveur de la paix .
Sa nouvelle activité l’amène à effectuer de nombreux voyages à travers l’Europe et parfois même aux États-Unis.. Il collabore parallèlement, par des articles, aux « Cahiers de l’Union Fédérale » et à diverses revues comme « Minorités », « La Voix des peuples » en Suisse et « Hongrie » à Budapest.
Il arrive que Yann Fouéré assiste parfois aux réunions de la section parisienne du mouvement autonomiste Breiz Atao, qui se tiennent dans un café du quartier de la gare Montparnasse où il va faire la connaissance de certains militants . Mais c’est surtout la participation à des grands congrès bretons tels que le « Bleun Brug », le « Gorsed » et celui de « l’Union régionale bretonne » qui monopolise sont activité, sans oublier, bien évidemment, « Ar Brezoneg er skol », créée par lui en 1934 .

En décembre 1931, François Debauvais et Olier Modrel avaient fondé le Parti National Breton et relancé le journal « Breiz Atao », l’ancienne revue du Parti Autonomiste Breton. Yann Fouéré, toutefois, évite soigneusement d’assister aux rassemblements de ce parti, ne voulant pas se voir accoler l’étiquette d’autonomiste, souhaitant seulement défendre le régionalisme et la langue bretonne.
Un pays l’a marqué, au hasard de ses voyages en Europe pour le compte de l’Union Fédérale, en l’occurrence la Suisse . Son fédéralisme et l’exemple du respect, par ses institutions, des différentes cultures et des différentes langues, l’ont fortement impressionné. Il ne peut s’empêcher d’établir une comparaison avec les vains efforts d’« Ar Breiz er Skol » pour faire inscrire, à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, un projet de discussion sur l’enseignement de la langue bretonne.

MARIAGE SUR FOND DE GUERRE ET DE DÉBÂCLE

À la fin de l’année 1936, Yann fait la connaissance d’une petite cousine éloignée et inconnue jusqu’alors, Marie Madeleine Mauger, dont la mère était la nièce de l’écrivain et académicien Charles Le Goffic. La jolie cousine lui apporte tout ce dont il manquait à l’époque, dit-il, après des déboires affectifs : « La lumière, la chaleur, l’affection, l’amour… ». Les jeunes gens vont se marier quelques années plus tard, en décembre 1939. Le conflit qui embrase déjà l’Europe est déclenché depuis quelques mois.
Yann Fouéré n’est pas mobilisable car il souffre d’hémophilie, affection d’ailleurs relativement assez bénigne, mais qui lui avait cependant valu d’être réformé. Ce qui fut ratifié par le Conseil de réforme, devant lequel il dut à nouveau se présenter au moment des hostilités .
Au cours de l’été 1939, juste avant que la guerre n’éclate, François Debauvais et Olier Modrel faisant fi de tout patriotisme et honneur, pressentant une défaite de la France, s’étaient rendus en Allemagne pour y plaider la cause d’une Bretagne indépendante, en cas de victoire allemande . François Debauvais avait même demandé à Yann Fouéré, avec qui il entretenait quelques relations, de se joindre à eux. Celui-ci refusa cette proposition, argumentant sa décision du fait que l’opinion bretonne n’était pas disposée à accepter la politique d’indépendance prônée par les deux hommes et, de plus, éventuellement soutenue par des Allemands .
Selon Yann Fouéré, dont j’ai recueilli les souvenirs récemment, son choix a toujours été très clair, le régionalisme certainement, l’autonomie jusqu’à un certain point, mais pas question de séparatisme.

La guerre, ainsi qu’on le sait, déboucha sur la débâcle militaire et sur l’exode qui l’entraîna au mois de mai 1940, avec son épouse, vers la Touraine où le Ministère de l’Intérieur avait décidé de se replier. Ils gagnèrent par la route, non sans difficulté, Lançay non loin de Tours, englués au milieu des militaires et des civils en fuite .
On est au mois de juin, le Gouvernement rappelle le Maréchal Pétain, alors à Madrid où il est en poste à l’ambassade de France, pour le porter à sa tête. Le 14 juin, les Allemands entrent à Paris. Le Ministère de l’Intérieur reprend la route en direction du sud, avec pour objectif d’atteindre Pau. On connaît la suite… Signature de l’armistice par Pétain, le 17 juin ; le 18 juin l’appel du Général de Gaulle et… l’arrivée des troupes allemandes à Evran, la France coupée en deux : une zone dite « libre », l’autre « occupée », puis le nouveau gouvernement installé à Vichy.
Le fonctionnaire du Ministère de l’Intérieur décide de regagner la Bretagne et Rennes où il va se faire mettre en disponibilité, afin de se consacrer à l’action « d’Ar Brezoneg er Skol » et à la création d’une troisième force, qui dans son esprit, se situerait, à mi-chemin, entre le centralisme et le séparatisme . Tout en restant opposé aux idées de Mordrel et de Debauvais qui viennent de fonder le Conseil National Breton, Yann Fouéré maintient néanmoins le contact avec les deux hommes qui avaient été condamnés à mort pour désertion, par le tribunal militaire de Rennes, lors de leur fuite en Allemagne.

sc00120aea.jpgEditorial de Yann Fouéré sur les dangers du séparatisme breton, dans ‘La Bretagne’ du jeudi 18 Septembre 1941(photo collection Yann Fouéré).

HOMME DE PRESSE

Yann Fouéré pense déjà sérieusement à fonder un journal militant où il serait plus en mesure de développer ses idées d’autonomie régionale . Le plus pressé est, cependant de régulariser sa situation administrative, son congé de détachement étant arrivé à expiration. Le remplacement en intérim du sous-préfet de Morlaix, muté ailleurs, lui donne cette possibilité.
La création d’un journal d’opinion militante bretonne va prendre corps lors de sa rencontre avec un important industriel breton, Jacques Guillemot. Cet ancien membre de l’Action Française et rallié, avec enthousiasme au régionalisme tel qu’il avait été esquissé par le nouveau gouvernement de Vichy se propose de financer le projet.
Le hic, c’est qu’à l’époque il est impossible de faire paraître un journal, quel qu’il soit, sans l’aval des autorités allemandes. Il est impératif de passer par la « Propaganda staffel », le service de presse allemand. Leur interlocuteur, au niveau de cet organisme, un aristocrate libéral chargé de la Presse, von Delwig, leur fait tout d’abord remarquer qu’il n’est pas question de tolérer une propagande séparatiste hostile au gouvernement de Vichy. Les deux hommes réussissent néanmoins à le convaincre de leur bonne foi et de leur objectif qui est de créer une province de Bretagne ayant ses propres pouvoirs administratifs, financiers et culturels, à l’exclusion de toute velléité séparatiste. Son autorité de tutelle, qui le suspecte d’être un militant breton trop zélé, le rappelle alors à Paris et Yann Fouéré doit quitter la sous-préfecture de Morlaix.. À peine arrivé dans la capitale, il réclame une mise en disponibilité, tout en exposant son projet de création d’un journal, à son patron, le préfet Ingrand, délégué au Ministère de l’Intérieur dans les territoires occupés.
Le nom choisi pour ce quotidien à paraître, et qui sera un quotidien du soir, est « La Bretagne ». L’arrivée de ce nouveau confrère n’est pas sans contrarier « Ouest-Eclair », dont un responsable parisien va même jusqu’à proposer à son fondateur de l’intégrer au journal, en doublant ses appointements, s’il abandonne le projet. Pas question, rétorque Yann Fouéré, tant que « Ouest-Eclair » n’aura pas modifié sa ligne politique vis-à-vis du Mouvement breton. Un modus vivendi sera finalement trouvé et « La Bretagne » pourra paraître, tout en étant, de plus, imprimé à façon sur les presses de « Ouest-Eclair », à la condition qu’il ne soit vendu qu’en fin d’après-midi . Le premier numéro sort des presses de la rue du Pré Botté, le 20 mars 1941.

Son nouveau patron se met à la recherche d’une équipe de journalistes bretons, destinée à constituer le noyau du quotidien. André Jorand, qui officiera plus tard à « Ouest-France », Xavier de Langlais, Simone Morand qui s’occupera de la rubrique mode, furent parmi les premiers à le rejoindre. Morvan Lebesque, en rupture de « L’Heure Bretonne » dont il a démissionné, refuse de se joindre à l’équipe préférant rester à Paris.
Yann Fouéré y assure les éditoriaux, à raison de cinq ou six par semaine, où il développe son souci de conquérir une autonomie provinciale pour la Bretagne, compatible avec son maintien dans l’unité française. Il met, en particulier, l’accent sur le danger du séparatisme dans l’édito qu’il signe dans « La Bretagne » du 18 septembre 1941, édito reproduit ci-contre. Le journal tire environ à 13 000 exemplaires et touche plutôt des catégories sociales privilégiées et favorables au provincialisme du Maréchal dont Yann Fouéré épousa les thèses, tout au moins au début.
À l’été 1940, il avait déjà, dans différents courriers adressés à des parlementaires bretons, attiré leur attention sur le danger des propagandes extrémistes . Ces courriers furent suivis par l’élaboration d’un programme de « provincialisme modéré » qui comptait même des adeptes au sein des Français libres » à Londres et notamment dans les rangs de « Sao Breiz », l’amicale des Bretons ayant répondu à l’appel du Général de Gaulle.
Mais le directeur de « La Bretagne » va devoir rapidement enfourcher un autre cheval de bataille. On croyait que le Maréchal Pétain souhaitait voir la « résurrection » des provinces. La déception fut grande de constater qu’il ne s’agissait, en réalité, que de la création de vingt régions ayant à leur tête un gouverneur relevant de l’autorité directe du gouvernement de Vichy. La seconde déconvenue survint, lorsque le Maréchal, répondit par la négative à une pétition « sollicitant une autonomie administrative de la province », signée par un grand nombre de maires de villes bretonnes importantes : Rennes, Vannes, Carhaix, Redon, Lannion, etc., ainsi que différentes personnalités religieuses et associatives.

sc0011d9e8.jpgRéunion du Comité Consultatif de Bretagne au chateau de Josselin, au mois de Juiller 1943. On peut reconnaître, entre autres, sur cette photo: Yann Fouéré(1), le préfet régional Jean Quénette(2), la duchesse de Rohan(3), le duc de Rohan(4), R.de l’Estourbeillon(5), l’abbé J.M.Perrot(6). (photo collection de Yann Fouéré)

Cependant, pour les militants bretons, le pire restait à venir. Après avoir réitéré, tant aux maires de Rennes que de Nantes, sa volonté de maintenir la future région de Bretagne dans la limite de ses cinq départements, Pétain prenait, par un décret du 30 juin 1941, la décision de faire de Rennes la préfecture d’une région à quatre départements, plaçant Nantes sous la tutelle de la préfecture régionale d’Angers, de même que tout le département de la Loire-Inférieure… Bien entendu, Yann Fouéré qui avait soutenu Pétain lorsqu’il s’agissait de voir promouvoir des réformes régionalistes allant dans le sens de sa propre conception, anima une intense campagne de protestation dans les colonnes de son journal .

sc0011f2be.jpgYann Fouéré devant la ferme du Bas Breil, en 2002, (photo Christian Martin)

LA FERME DU BAS BREIL, UN HAVRE DE PAIX DANS LA TEMPÊTE.

À partir de la fin de l’année 1941, les soucis vont s’accumuler sur la tête du directeur de « La Bretagne ». Soucis financiers et d’équilibre du budget qui vont le pousser à vouloir modifier la fréquence de parution du quotidien, en parution hebdomadaire .
La famille Fouéré est revenue, entre-temps, habiter Rennes, dans une maison de la rue de Fougères où va naître Rozenn, le premier enfant du couple. Evran n’est pas trop éloigné de Rennes et Yann prend de plus en plus souvent, dès qu’il a un moment de libre, le chemin du Bas Breil, dont il apprécie le calme et la sérénité pour oublier, provisoirement, ennuis et tracas. La ferme permet, en outre, de remédier aux problèmes de rationnement alimentaire qui commencent à devenir préoccupants dans les grandes villes. Jean Fouéré, le père, désormais fonctionnaire à la retraite, s’est établi à Saint-Lunaire où, un peu plus tard, il en sera élu maire durant douze ans. Pour l’anecdote, celui-ci aura d’ailleurs l’insigne honneur d’accueillir en 1957, pour l’inauguration d’une nouvelle école, un ministre de la Justice nommé François Miterrand.

Vouloir changer la fréquence de parution n’est pas chose aisée sous l’occupation allemande. Toute modification doit être entérinée par la Propaganda Staffel qui est prévenue en janvier 1942 de cette intention. Son chef, Guenther Schott, demande au directeur de « La Bretagne » d’attendre avant de l’entreprendre en raison, dit-il, d’importants changements qui vont survenir au niveau de la Presse bretonne. Ils ont en effet, ni plus ni moins, fait main basse sur le journal « La Dépêche de Brest », en obligeant son directeur et le conseil d’administration à leur remettre toutes les actions dont ils disposent ; sinon le journal serait interdit de parution. Cet ukase avait été décidé, à la suite d’un refus du directeur, Victor Le Gorgeu, d’avoir publiquement pris parti contre le vote d’une motion de confiance au Maréchal Pétain.
Mais grande sera la surprise de Yann Fouéré, quand ce même Guenther Schott va lui proposer d’en prendre la direction. Ce qu’il repousse en disant : « Nous ne pouvons accepter de bâtir notre prospérité sur le dos d’un confrère. C’est pourquoi nous n’envisageons d’autre remède à nos difficultés présentes, que notre transformation en hebdomadaire, avec l’aide de « Ouest-Eclair …»
Après en avoir référé à ses collaborateurs et devant la ferme intention des autorités allemandes d’interdire le journal brestois, Yann Fouéré fait à Schott une contreproposition, d’entrer au conseil d’administration de « La Dépêche de Brest », en rachetant les actions en blanc dont dispose la Propagnda Sraffel. Ceci fut finalement accepté, en dépit de l’intention affichée de la future direction, de ne publier, en première page, aucun article de fond ayant trait à la politique internationale, à la guerre et à la collaboration franco-allemande. Néanmoins, il fut mis en demeure de publier dans « La Bretagne », devenue un hebdomadaire, un article de politique générale soumis par les agences de Presse officielles. Par une sorte de mouvement de balancier, en compensation, il lui fut permis d’inclure la publication d’un article de fond sur la Bretagne, dans « La Dépêche de Brest ».
Abandonnant les rotatives de la rue du Pré Botté, « La Bretagne » allait être désormais imprimée à Morlaix, sur celles du journal brestois.
Cette reprise ne fut pas sans faire des vagues, on parla même de mainmise, de spoliation et de faveurs inhabituelles accordées par les Allemands. Ce que la direction de « La Bretagne » réfuta toujours avec la plus grande énergie.
Yann Fouéré assume ainsi la direction politique et rédactionnelle des deux publications. Un homme de grand talent, Joseph Martray, viendra se joindre à l’équipe en 1943, en tant que rédacteur en chef. Il intégrera également le Comité Consultatif de Bretagne, un organisme officieux créé, en 1942, à l’initiative de Yann Fouéré, et en collaboration avec le préfet régional, pour tenter de promouvoir les réformes souhaitées quant à l’unité de la Bretagne et l’enseignement du breton. Ces activités autour du préfet ne furent d’ailleurs pas sans inquiéter les autorités allemandes « vis-à-vis duquel, elles n’entretenaient pas de sympathies particulières », précise Yann Fouéré, dans son livre « La patrie interdite ».

YANN FOUÉRÉ EMPRISONNÉ, À LA LIBÉRATION

Au mois de novembre 1942, les Américains ayant pris pied en Afrique du Nord, le glas des espérances de suprématie allemandes commence déjà à sonner un peu partout en Europe. En 1944, la Sicile, la Corse, la Normandie et enfin la Provence, voient déferler les troupes alliées.
En juin 1944, la parution de « La Bretagne » et de « La Dépêche de Brest » est suspendue, pour reparaître très passagèrement, deux semaines plus tard, à la demande impérative de la Propaganda Staffel. Mais la déroute des troupes d’occupation s’accélère. L’armée Patton perce à Avranches et s’engage vers Dinan. Yann Fouéré et son père doivent quitter Morlaix pour Evran, où Jean Fouéré avait entreposé ses meubles à la suite des bombardements de Rennes.
Le 4 août, les Américains pénètrent dans Rennes que Yann a finalement regagné. Il y restera peu de temps. Fuyant la vague des arrestations opérée, journalistes en particulier, par des éléments plus ou moins incontrôlés, il trouve refuge chez un ami. Ses jours de liberté sont désormais comptés, il sera arrêté, le 10 août, par la police officielle et « interné politique » à la prison Jacques Cartier.
Commence alors un périple, qui de prison en prison, va durer un an et le conduire de la prison Jacques Cartier, au camp d’internement Margueritte de Rennes, en passant par la maison d’arrêt de Quimper et enfin le camp de Pont de Buis dans le Finistère. Yann Fouéré sera libéré provisoirement le 26 juillet 1945, dans l’attente de l’instruction de son procès, après une détention qu’il qualifie d’éprouvante.

Prévoyant sa future condamnation, ainsi que la confiscation de ses biens qui se résument en gros à des actions de « La Dépêche de Brest » (devenue « Le Télégramme de Brest ») et à une précieuse bibliothèque, il s’empresse de déménager celle-ci chez Xavier de Langlais. Les nouvelles, qui filtrent depuis le tribunal, ne sont guère rassurantes. On parle de raison d’État, de marchandages politiques. Yann Fouéré a le pressentiment qu’il va devoir faire face à une lourde peine, bien qu’au fur et à mesure de l’instruction de son procès, l’accusation d’intelligence avec l’ennemi semble se dégonfler pour faire place à des accusations se rapportant à une action politique autonomiste. Ceci lui paraît d’autant plus vraisemblable, que bon nombre de journalistes et de directeurs de journaux, ayant paru sous l’Occupation, n’ont même pas été inquiétés ou ont été rapidement libérés.

FUITE VERS LE PAYS DE GALLES ET L’IRLANDE.

L’ouverture du procès est fixée au 18 février 1946, mais Yann Fouéré a déjà pris la décision de n’y point comparaître, à la suite de bruits alarmants quant à sa condamnation.. Il fuit, d’abord réfugié clandestin chez des amis, dans la région parisienne, puis chez des moines dominicains à la Ferté-Vidame (où il apprendra la naissance de son second fils, Erwan. Jean-François, le premier garçon, était né en novembre 1942), l’ancien directeur de « La Bretagne » prépare son départ pour l’étranger.
Achat d’un « vrai faux passeport » sous un nom d’emprunt qu’il, encore aujourd’hui, ne souhaite pas révéler, et à l’été 1946 c’est la fuite vers le Pays de Galles, via la Belgique : Ostende, Douvres, Londres. Entre-temps, le verdict de la Cour de Rennes est tombé, une condamnation par contumace aux travaux forcés à perpétuité a été prononcée à son encontre. Toujours sous sa nouvelle identité, Yann Fouéré réussit à obtenir un poste d’assistant de français à l’université de Swansea. Il participe également, en décembre 1946, avec quelques autres exilés du Mouvement breton, à la publication d’un bulletin en anglais de quelques pages, le « Breton national news service » dont il est l’éditorialiste. Ce bulletin va d’ailleurs finir par attirer sur lui l’attention du consul de l’ambassade de France à Swansea.
Son épouse, Marie-Madeleine, accompagnée de ses enfants, peut enfin le rejoindre au mois de mai 1947. Néanmoins, le bonheur d’avoir pu retrouver les siens est terni par le non-renouvellement de son poste d’assistant de français. L’ambassade de France à Londres, alertée par son consul de Swansea, a réussi à percer son identité et a fait pression sur le gouvernement britannique pour qu’il soit extradé.
Si les Britanniques n’accèdent toutefois pas au désir des Français, il n’en est pas moins mis en demeure, en 1948, d’avoir à quitter le territoire.
Redoutant d’être renvoyé en France et soumis à une arrestation immédiate, seule l’Irlande paraissait lui donner toute garantie de sécurité. Reprenant le chemin d’un nouvel exil, Yann abandonne, une fois de plus, femme et enfants qui eux ont pu demeurer au Pays de Galles, pour gagner l’Irlande et Dublin. Toutes ces péripéties sont relatées en détail dans « La maison du Connemara », le second tome des mémoires de Yann Fouéré, paru en 1995 aux Éditions COOP Breizh et imprimé par l’Imprimerie régionale de Bannalec qui imprime également « Le Pays de Dinan ».
Les débuts irlandais du Breton sont rudes et la soupe populaire est, bien souvent, son seul ordinaire. Il participe à certaines émissions de la radio irlandaise sur la Bretagne.et à la rédaction de quelques articles de Presse, sous le nom de docteur Moger.

Le spleen et le désir de revoir sa famille l’incitent à faire une visite rapide au Pays de Galles. Fâcheuse imprudence, car un arrêté d’expulsion, avec reconduite vers la France, vient juste d’être pris à son encontre. Cueilli par la police anglaise, Yann Fouéré est emmené à Londres, d’où il doit, en principe, être expulsé afin d’être remis aux autorités françaises, selon la demande de l’ambassade de France. La nouvelle de cette arrestation de répand rapidement dans les milieux gallois, ce qui a pour conséquence de déclencher une campagne de protestation dont la radio et la presse galloises se font l’écho, de même que la Presse anglaise et la B.B.C.
Les députés gallois interpellent le Home Office et, sous leur pression, son représentant finit par céder et le relâcher, à la condition que l’Irlande accepte de l’accueillir définitivement. Cette mesure de clémence s’accompagne d’une interdiction absolue de remettre les pieds sur le territoire britannique.

BALADE IRLANDAISE…

Le proscrit s’établit à Dublin où il va enfin pouvoir régulariser sa situation de résident étranger et y faire venir femme et enfants. Il est loin d’être un cas isolé, de nombreux Bretons qui ont fui leur pays, menacés d’arrestation pour actes de collaboration avec les Allemands, ayant déjà bénéficié de l’asile politique.
Les contingences de la vie au quotidien obligent l’ancien directeur de Presse à découvrir quelle occupation professionnelle il peut exercer pour survivre. Les cours de français qu’il donne et les quelques piges d’articles parus dans un journal irlandais sont d’un bien maigre rapport.. On retrouve donc Yann Fouéré en des d’activités tout à fait inattendues pour un intellectuel : charcutier, fabricant de pâtés de foie de porc… à la suite du rachat des recettes et de la clientèle d’une Française qui souhaitait retourner dans son pays ; accueil de jeunes filles au pair ou le placement d’hôtes payants en des familles irlandaises ; tenancier d’un « Bed and Breakfast ». Tout cela demeure cependant insuffisant pour assurer la subsistance de sa famille qui l’a rejoint à Dublin.
Sous ces pressions matérielles, il finit par trouver un poste, plus rentable, de professeur de français dans un collège tenu par des Bénédictins, non loin de Limerick.

Le destin va se charger toutefois, en 1950, d’apporter une assise plus solide au séjour forcé des Fouéré en la « Verte Erin ». Ceci, en la personne des frères Marcel et Lucien Samzun, des mareyeurs malouins qui avaient obtenu, avant la guerre, la concession d’un bras de mer, à Cleggan dans le Connemara, pour y édifier des viviers à langoustes. Le conflit avait entraîné l’interruption de cette activité que les frères Samzun, toujours propriétaires, souhaitaient voir réactiver, en raison de faibles moyens procurés par une maigre retraite qu’ils avaient été amenés à prendre entre-temps. Cherchant un associé, parmi les réfugiés bretons, qui puisse plus tard reprendre l’affaire, des contacts furent établis avec Yann Fouéré, grâce au rôle d’intermédiaire de Jean, le père, toujours à Saint-Lunaire.

sc001238a4.jpgLe vivier de Cleggan, ses ateliers et, marqué d’un asterisque, la maison familiale.(photo collectionYann Fouéré)

En dépit de la grande rusticité des lieux, Marie-Madeleine et Yann décident de se lancer dans l’aventure, bien que ne possédant aucun savoir technique ou commercial en ce domaine. Conseillés et épaulés par Marcel Samzun, l’affaire se développe de manière satisfaisante. Pour un intellectuel, le défi a été néanmoins difficile à relever et, bien souvent, notre Breton s’est pris à regretter de ne pas avoir des aptitudes manuelles qui l’eussent aidé à maîtriser plus facilement les problèmes soulevés par son nouveau métier.

YANN FOUÉRÉ BLANCHI PAR UN NOUVEAU PROCÈS

En 1953, les tribunaux militaires ont succédé aux Cours de justice pour trancher sur les cas de collaboration, d’intelligence avec l’ennemi ou d’atteinte à la sécurité et à l’intégrité du territoire. Yann Fouéré pense souvent à la Bretagne et à un possible retour. Ce dernier, il ne l’envisage pas dans le cadre d’une quelconque amnistie, mais d’un véritable jugement qui l’absoudrait du jugement qui, dit-il, l’avait fait injustement condamner en 1946.
Une loi d’amnistie, votée en juillet 1953, donne la possibilité aux condamnés par contumace de bénéficier d’un nouveau procès moins sévère. Au tout début de 1955, Yann se décide à en saisir l’opportunité et à se présenter devant le tribunal militaire de Paris. Le chef d’inculpation qui, à l’origine, était « d’intelligence avec l’ennemi » (la peine encourue est la peine de mort), sera requalifié par le président, après audition des témoins, en « atteinte à la sûreté de l’État » passible seulement de cinq ans de détention. Défendu par Me Isorni, l’accusé sera, en fin de compte, purement et simplement acquitté.

( Voir la copie du jugement par le Tribunal dans la rubrique Archives du site, sous Yann Fouéré)
Cet acquittement va lui permettre de revenir en Bretagne en renouant avec une action militante bretonne qui se doublera d’une action militante européenne, dont il s’est fait l’apôtre dans son livre « L’Europe aux cent drapeaux »
Continuant son combat idéologique, Yann Fouéré participe à la création d’un parti politique sensé regrouper les différentes tendances bretonnes, le M.O.B. (Mouvement pour l’Organisation de la Bretagne). En 1958, on le retrouve à la tête du Comité directeur d’un nouveau journal « L’Avenir de la Bretagne ». Il mène de front activités politiques et journalistiques, tout en continuant à s’occuper de son affaire irlandaise.

« EN PRISON POUR LE F.L.B. »

Tout va pour le mieux jusqu’au début des années 1970 ; période où le F.L.B. (« Front de Libération de la Bretagne ») lance une campagne d’attentats à l’explosif. Les convictions et l’action du militant Fouéré en font un suspect potentiel de choix.
Lorsqu’en 1975, une opération, « coup de poing » anti-F.L.B. est déclenchée dans toute la Bretagne, par le Ministre de l’Intérieur Poniatowski, il est arrêté à l’aéroport de Saint-Brieuc, alors qu’il s’apprêtait à repartir en Irlande. Des perquisitions sont conduites par la Police Judiciaire à son appartement de Saint-Brieuc, un petit deux-pièces acheté lors de la vente par appartements de l’Hôtel d’Angleterre, de même qu’au siège de « L’Avenir de la Bretagne ». Les trois policiers en charge de la perquisition sont fâcheusement impressionnés par la découverte d’une copie d’un réquisitoire se rapportant à un procès du F.L.B. en 1972.

Ils mettent également la main sur un organigramme de ce mouvement dont Yann Fouéré tente d’expliquer la possession, arguant de sa qualité de journaliste. Mais pour ce dernier, le pire reste encore à venir. L’un des fonctionnaires de police découvre au milieu de ses papiers personnels, l’existence de sa demeure évrannaise du Plessis, proche de la ferme familiale du Bas Breil.

A propos de cette résidence, Yann Fouéré écrivait dans son livre « En prison pour le F.L.B », paru en 1977 aux éditions N.E.L. : « Evran est le berceau de ma famille paternelle : on y retrouve sa trace dès le XVIIe siècle. Des générations de Fouéré ont cultivé la terre qui s’étend autour de la modeste maison de ferme que j’y aie fait restaurer et dont la porte principale doit remonter à cette époque. Le traité d’Evran, conclu entre Blois et Montfort, pendant la guerre de succession de Bretagne fut signé sur une petite colline, dans un champ qui domine l’un des miens. On l’appelle depuis la « Butte de la justice ». Je pensais, en roulant vers Evran, à tous les protestataires, résistants et combattants bretons de l’indépendance dont cette terre, d’entre Ille-et-Rance, a été le berceau. Les la Chalotais, les Botherel de la Rouërie, les Guyonerais, les Chateaubriand et tant d’autres. Eux tous ont, pour leur pays, souffert la prison, l’exil ou pire… ».

La petite maison du Plessis qui jouxte le Bas Breil est mise sens dessus dessous. Les policiers explorent les tiroirs, les placards, les étagères et les livres qu’elles contiennent, jusqu’aux cendres du foyer. La fouille se poursuit, sans grand succès, jusqu’au moment où l’un deux, explorant le dessus des éléments de cuisine, met la main dans un vieux pot à tabac, sur trois détonateurs utilisés, selon son propriétaire, à des travaux de dérochage sur le site du vivier de Cleggan en Irlande et dont il pensait avoir besoin pour l’enlèvement de vieilles souches, lors de la restauration de la fermette évrannaise.en 1972.
Résultats, une garde à vue de six jours à la caserne de la compagnie C.R.S.19 à Saint-Brieuc. Là, il va découvrir que son interpellation initiale était la conséquence de révélations faites par un prêtre, recteur de Tréverec et sympathisant du F.L.B. Ce dernier l’avait notamment désigné « comme étant le chef suprême du FLB-ARB ». Confronté avec ce dernier, l’abbé se contenta de déclarer qu’en fait, ses paroles traduisaient plutôt une supposition, qu’une réelle vérité basée sur des faits tangibles.
Yann Fouéré sera, dans un premier temps, transféré au Fort de l’Est à Paris avec d’autres militants bretons arrêtés eux aussi. Un juge d’instruction auprès de la Cour de sureté de l’Etat va lui motiver son inculpation pour : « Détention d’explosifs, infraction en relation avec une entreprise individuelle ou collective consistant à substituer une autorité illégale à celle de l’Etat » . et le fait écrouer à la prison de la Santé.
Après plusieurs demandes de mise en liberté provisoire et l’intervention de députés gallois auprès du Parlement européen, Yann Fouéré sera libéré au mois de février. Aucune preuve sérieuse n’ayant pu finalement être retenue contre lui, il semble que son cas fut disjoint de celui des autres militants du F.L.B. et qu’une relaxe ait été prononcée.

YANN FOUÉRÉ L’ÉCRIVAIN

Du journaliste militant engagé, à l’auteur de livres politiques, Yann Fouéré a toujours manifesté une passion viscérale pour l’écrit. Son premier livre « De la Bretagne à la France et à l’Europe », paru au COB à Lorient en 1957, jussqu’au dernier en date « La Maison du Connemara » publié en 1995, c’est plus d’une douzaine d’ouvrages qui sont nés sous sa plume. « La patrie interdite » (1987), où il retrace son enfance et le déroulement de sa vie, jusqu’au moment de sa fuite en Irlande, pour aboutir à « La Maison du Connemara » relatant la période de son exil irlandais, tous deux sont sous-titrés « L’histoire d’un Breton ». et traduisent son cheminement, souvent douloureux, tout au long d’un parcours fertile en péripéties.
Si Yann Fouéré a beaucoup écrit, même lorsqu’il était en détention, nombre de ses livres furent rédigés dans l’univers calme, champêtre et serein, de sa petite maison du Plessis, près d’Evran, où il avait, d’ailleurs, transféré la plus grande partie de sa précieuse bibliothèque. Louée, à l’origine, à un facteur évrannais, qui y est d’ailleurs décédé, cette annexe de la ferme du Bas Breil était une modeste maisonnette dont il hérita en 1968, à la mort de son père. « L’état en était primitif, dit-il, le sol était en terre battue et le confort inexistant. Tout l’arrière était à moitié enterré dans une butte de terre, si bien qu’on aurait pu accéder directement, de ce côté, au premier étage ».

sc0011be90.jpgLa maison du Plessis, près d’Evran, un havre de calme et de paix ou Yann Fouéré a toujours pu trouver toute la sérénité nécessaire à la rédaction de plusieurs de ses ouvrages. (photo Christian Martin)

Débarrassée de sa gangue de terre, la maison du Plessis sera le lieu de prédilection pour l’écrivain dont la vue se perd, au printemps, sur les près fleuris et les champs. Il y passera également l’hiver, loin des rigueurs climatiques du Connemara et de sa. côte balayée par les vents glacials.
La liste des ouvrages parus est longue. Si l’on excepte les premiers cités, on relève entre autres titres : « La Bretagne écartelée », 1962 et rééditée en 1976 ; « L’Europe aux cent drapeaux », 1968 et également rééditée en 1976 ; « En prison pour le FLB », 1977 : « Ce que les autres ont », 1979 ; « L’Histoire du quotidien la Bretagne », 1981, etc.
On peut, éventuellement, ne pas partager les idées développées en ses ouvrages ou ne pas apprécier son comportement allégué durant l’occupation, accusation dont on a vu, par ailleurs, qu’il avait été absout. Néanmoins, force est de reconnaître à celui qui a choisi de s’enraciner en son pays d’Evran, d’avoir été un personnage hors du commun, tour à tour : fonctionnaire de la République, sous-préfet, journaliste et directeur de Presse, professeur, charcutier, mareyeur, et enfin écrivain, un étonnant parcours…

BIBLIOGRAPHIE:

– « Les nationalistes bretons sous l’Occupation », Kristian Hamon, « Editions An Here », 2001.
– « La Bretagne sous le gouvernement de Vichy », Hervé Le Boterf, « Éditions France-Empire, 1982.
– « La Patrie interdite », Yann Fouéré, « Éditions France-Empire », 1987.
– « La Maison du Connemara », Yann Fouéré, « Editions Coop Breizh », 1995.
– « Comment peut-on être Breton », Morvan Lebesque, « Éditions du Seuil », 1970.
– « L’Histoire du quotidien La Bretagne », Yann Fouéré, « Les Cahiers de l’avenir », 1981.