Divers Textes du manuscrit non publiés, ‘Lettre aux Bretons et aux Francais’, écrit en 1972.
Premier Texte
L’Europe a célébré en 1970, le 25ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Cette même année, cependant, a vu se dérouler, en Espagne le procès de Burgos contre les nationalistes Basques, celui de Leningrad contre les Juifs Soviétiques. Dans l’un et l’autre de ces procès, il ne s’agissait nullement de justice.
Dans le premier cas, c’est la simple raison d’état qui exigeait la condamnation, sans aucune preuve précise, de militants basques dont le seul crime est de vouloir rendre à leur patrie la liberté politique que l’état espagnol lui a arraché, par une violence au moins égale à celle qu’il leur reproche d’avoir exercé contre son appareil policier.
Dans le second cas, c’est aussi la raison d’état qui exigeait la condamnation de citoyens soviétiques coupables aux yeux de l’état russe d’avoir eu l’intention de quitter une patrie qui ne leur assure plus le respect des droits les plus élémentaires de l’homme, et qui leur interdit de franchir librement ses frontières.
Raison d’état ce encore qui commande aux chars de l’armée polonaise d’écraser les mouvements de révolte populaire des protes de la Baltique, à l’armée chilienne de décimer la résistance populaire, aux chars soviétiques d’écraser les révoltes de Budapest et de Prague. Raison d’état qui a dicté l’adoption récente par la France d’une loi d’exception, dite anti-casseur, exorbitante, du droit commun et qu’elle a commencé allègrement d’appliquer. C’est la simple raison d’état, et non l’exercice de la justice, qui peuple les prisons d’Espagne, de Grèce et d’ailleurs, les camps de concentration sibériens, et les asiles psychiatriques de la Russie et de ses satellites, de dizaines de milliers de détenus qui n’ont à se reprocher que d’avoir voulu exercer les droits de l’homme dans des états qui les ont hypocritement proclamés, mais refusent de les appliquer chez eux. Il ne s’agit pas ici de régimes politiques de gauche ou de régimes de droite, les uns et les autres commettent exactement les mêmes crimes et les fascismes sont de différentes couleurs. Tant qu’il y a raison d’ état, sans recours possible à des autorités internationales impartiales, il ne peut y avoir de justice, mais seulement lettre de cachet, internements arbitraires, parodies de procès. On reprochait autrefois aux monarques absolus les lettres de cachet qui avait enfermé sans jugement à la Bastille les sept détenus que l’on y trouva le 14 juillet 1789. De quel libéralisme et de quelle mansuétude faisaient preuve ces rois de France en comparaison de nos Etats modernes. Ces derniers ont multiplié les Bastilles: ils sont devenus la Bastille, Aux armes, Citoyens!
On ne décèle pas dans les partis politiques français, dans leurs forces syndicales, dans leur cercle de pensée, ou chez les intellectuels, à quelques rares et brillantes exceptions près, les forces de renouvellements et la conscience claire du crime à commettre, qui rendrait possible un nouveau sursaut. Car il faudrait commencer par diviser et morceler l’état. Aucune formation française politique, économique, sociale ou syndicale n’est disposée à l’admettre. L’unité, l’indivisibilité, l’intangibilité de l’Etat restent pour elles tout un acte de foi.
Pour édifier cette nouvelle société politique qui, pour rendre l’Etat à ses citoyens, doit s’évader des schémas classiques contre lesquels on s’efforce de limiter notre choix, sur quelles forces pouvons-nous compter en effet? Certainement pas sur l’état lui-même devenu une fin en soi. Aucun état au monde, l’Etat français encore moins que tout autre, ne se dépouillera de plein gré de la moindre parcelle de son pouvoir et de son autorité. Des circonstances extérieures telles qu’une défaite militaire et une occupation étrangère ont pu dans le cas de l’Allemagne, de l’Italie ou de la Yougoslavie amener une transformation de leurs structures internes et le remplacement d’un état unitaire par un Etat de structure Fédérale. C’est seulement parce que l’Allemagne et l’Italie n’avaient guère connu plus d’un demi-siècle d’unification politique. La Yougoslavie moins encore: l’unification, ce n’était qu’un simple accident dans leur histoire. L’Etat français; par contre, à travers toutes les révolutions, les défaites, l’occupation étrangère, les changements de régime et de gouvernement, est resté immuable. Son histoire n’est que l’histoire de la centralisation régalienne. Le drapeau peut changer de couleur, monarchie, empires et républiques se succèdent, les structures de l’Etat demeure. Les ministres, les préfets et les hauts fonctionnaires s’assoient dans les mêmes fauteuils; ils exercent les mêmes pouvoirs, avec, en général, à chaque changement, un tour de vis en plus dans le sens de l’amenuisement des libertés.
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Deuxième texte de la sélection du manuscrit de Yann Fouéré non publié de 1972: « Lettre Ouverte aux Bretons et aux Français »
Depuis la défaite des Girondins et la Constitution trahie de 1793, il ne s’est guère passé de décades sans que l’opposition gouvernementale, quelle qu’en fut la couleur, n’ait demandé le desserrement de l’étau centraliste, l’application du régionalisme et de la décentralisation. Rien n’y fait: à chaque opposition parvenue au gouvernement n’a rien de plus pressé que « d’oublier » ses velléités de réforme, ne désirant rien retrancher des pouvoirs quasi dictatoriaux et des attributions presque sans limites que lui confèrent les structures centralisées de l’État. De nos jours, encore, où nos Excellences ont souvent à la bouche les mots de réformes régionales, il n’y a aucune réalité dans leurs propos. Ils n’accouchent jamais que d’une caricature de réforme. Ils ne conçoivent la décentralisation et la régionalisation que comme une facilité de plus donnée à l’État. De Gaulle fut en fait renversé parce que l’establishment de la République craignait qu’il ne finisse par dépouiller l’État au profit des régions de pouvoirs que nos hautes administrations tiennent à conserver. De sa part tout était possible. Les ministres ou les Présidents habituels peuvent parler: ils ne peuvent rien changer; c’est l’État qui commande: eux ne sont dans l’État que de simples passagers en transit.
S’il est une chose certaine donc, c’est que l’État Français ne se dépouillera jamais lui-même pour rendre aux citoyens les pouvoirs et les libertés qu’il a fini par leur ravir. Il ne se rendra jamais à ses citoyens. A plus forte raison ne rendra-t-il jamais de bon gré nos nations à leurs hommes. Il en résulte que nous ne pouvons absolument pas compter non plus pour bâtir une nouvelle société et changer les structures de celles sous lesquelles nous vivons, sur un quelconque changement de gouvernement français, élu ou désigné selon les méthodes de la démocratie classique, même s’il le désirait, n’arrivera à changer l’État. Par voie de conséquence, aucun des partis politiques ou des formations politiques qui existent au sein de l’État Français et qui s’y disputent le pouvoir par le jeu de la politique électorale ne réussira non plus à le transformer. Le seul but de ces partis n’est-il pas de conquérir le pouvoir politique afin de mettre, ou d’espérer mettre, l’État à leur service et à celui de leur politique? S’emparer de l’État est une chose, le transformer en est une autre, en changer les structures fondamentales une autre encore. Comment l’un quelconques de ces gouvernements ou de ces partis politiques pourraient-ils de bon gré accepter, en admettant même que l’État les laisse faire, de se dépouiller des pouvoirs quasi illimités, politiques, administratifs et économiques qu’ils pensent pouvoir exercer grâce aux structures de cet État centralisé dont il se sera rendu maître? Poser la question et y répondre à la lumière de l’histoire politique de la France depuis deux siècles.
Si l’on peut dire que la société politique française était bloquée, c’est bien parce qu’il est évident que les citoyens ne peuvent rien faire pour la changer, quel que soit leur désir ou leur vote, et, quel que soit le parti politique où ils militent. C’est bien cette impuissance que vous percevez tous citoyens français au fond de vous mêmes, qui vous incite en plus en plus grand nombre à abdiquer vos responsabilités politiques, pour vous débrouiller, au mieux individuellement, jouant à cache-cache avec l’État, ses percepteurs et ses polices. Pour transformer la société politique, on ne peut compter sur la droite française classique, héritière naturelle de la tradition centralisatrice étatique, conservatrice de nature et donc imperméable à des changements fondamentaux. Mais on ne peut guère non plus compter sur la gauche classique de tendance socialiste malgré quelques brillantes exceptions individuelles, presque toujours limitées aux militants issus de nos « Nations » en Bretagne, en Occitanie et en Alsace. Tous les mouvements de gauche organisés au XIXème siècle et dans la première moitié du XXème , ont été avant tout unitaristes, centralistes, unificateurs, cette tradition est loin de s’être perdue dans les formations actuelles, malgré leurs récentes concessions au régionalisme, dans un programme qu’il est facile de dresser lorsque ses promoteurs savent qu’ils n’auront guère de sitôt à la mettre en pratique, surtout avec leurs alliés communistes. La défense de la République et des « conquêtes » de la révolution française, le culte des grands ancêtres, se sont toujours confondus pour la gauche française avec la défense de l’État un et indivisible. Aussi s’est-elle toujours immolée sur l’autel de la patrie et de la pérennité de l’État, faisant bon marché de ses principes lorsque la raison d’État était en jeu, y sacrifiant son internationalisme et reprenant, pour ce faire, les arguments et les gestes de la droite la plus classique. On l’a bien vu lors de nos guerres civiles européennes et du drame algérien. Depuis 1789, la gauche française a pratiqué en fait une politique de droite. Le parti communiste lui-même, qui fut un temps le parti de la révolution et du changement, est devenu le plus nationaliste des partis français. Peut-on même le considérer encore comme un parti de gauche, puisqu’il ne pratique pas la démocratie interne, et puisque les communistes n’ont pas respecté les libertés démocratiques dans aucun des pays où ils ont conquis l’État? La pratique du centralisme démocratique qu’il a inventé, pour tenter de marier l’inconciliable, n’admet pas de solutions d’équilibre ou de compromis, qui sont pourtant seules compatibles avec la démocratie. Le Parti Communiste s’est résolument rangé dans le camp du réformisme. Il ne faut pas compter sur lui pour changer ou transformer l’État, quelle aubaine pour lui s’il arrive à le dominer!
Pour établir la dictature d’un parti unique il n’y aura rien à changer: les structures centralisées et totalitaires y sont pratiquement déjà en place, dans la politique et l’administration aussi bien que dans l’organisation de l’économie, du crédit et des mass-média, et les dirigeants du P.C. Français savent bien qu’il leur sera infiniment plus facile de s’emparer de cet État unique qu’il ne le serait de s’emparer péniblement une par une de ses quinze ou vingt provinces indépendantes dont parlait Proudhon…
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Troisième texte de la sélection du manuscrit de Yann Fouéré non publié de 1972: « Lettre Ouverte aux Bretons et aux Français »
La grande majorité de la gauche Française en réalité, reste encore inspirée des conceptions décrites par Robert Jaulin: « Le socialisme n’a jamais soutenu que l’humanité se réfère à du multiple…’‘‘Le problème des socialistes n’a pas été celui de la multiplicité des civilisations mais au contraire, celui d’un modèle messianique unique valable pour toute l’humanité ».
Comment dans ces conditions, ne pas donner raison à Richard Marienstras qui écrit: « La gauche majoritaire, en effet, comme la gauche Trotskyste, vit dans le culte de l’État centralisateur dont elle rêve de saisir enfin l’appareil…. » « Elle n’ignore pas que les assemblées provinciales affaiblissent l’État et limitent son pouvoir, en érigeant, face à lui, des souverainetés embryonnaires que l’on peut d’autant moins négliger que leur discours ne s’oriente pas forcément sur celui des pouvoirs nationaux… Or la gauche veut que l’État conserve et renforce cette souveraineté pour se l’approprier un jour. »… »C’est une grande partie de la gauche, ajoute-t-il, est centraliste, éprise de culture étatique avec ou sans l’étiquette prolétarienne, et amoureuse d’autorité, malgré un verbiage démocratique. Elle confond l’égalitarisme, où se nichent tous les appétits ethnocratiques et la démocratie politique et économique dont ce pays n’a jamais connu qu’une triste caricature. »
Il est vrai que si elle est imbue de ces conceptions, la gauche française peut toujours se targuer de sa fidélité aux évangiles qu’elle invoque et auxquelles elle prétend se conformer. N’est-ce-pas Lénine qui a écrit aux applaudissements de Staline: « Les Marxistes ne préconisent en aucun cas ni le principe fédéralistes, ni la décentralisation. »…. »Un grand État centralisé constitue un énorme progrès historique conduisant du morcellement moyenâgeux à la future unité socialiste du monde entier » Sous l’influence de Marx, qui avait applaudi à l’unité allemande réalisée par Bismark, socialistes et communistes se sont toujours voulu centralistes.
Seules dans la société politique française quelques étoiles parmi la constellation des groupuscules gauchistes, P.S.U y compris, apparaissent à la rigueur comme pouvant représenter le parti de la révolution, prêtes à bouleverser des structures dont aucune ne trouve grâce à leurs yeux. On a même vu le P.S.U dans sa réunion de Narbonne en 1971 reconnaître le droit théorique à la séparation des peuples soumis de l’hexagone. Mais, tous ces groupes agissent dans le plus grand désordre, sans analyse politique fondamentale et dans la plus extraordinaire des confusions mentales, à l’aide d’un vocabulaire si hermétique qu’ils n’arrivent plus à le comprendre eux-mêmes. Ils évoluent dans la théorie plus que dans la pratique, et ne prennent que rarement position sur des problèmes concrets, intéressants directement les hommes de leur patrie, qui sont pourtant les plus proches d’eux-mêmes.
A Rennes, à Nantes et à Brest, ils manifestent pour la liberté du Vietnam mais, guère pour la liberté de la Bretagne. En Allemagne, ils se battent contre l’impérialisme Américain, mais, guère pour la reconnaissance de la nouvelle frontière avec la Pologne.
Chez eux la parole l’emporte sur l’action. On parle de la démocratie assassinée au Chili, peu de celle assassinée en Russie, sans doute parce qu’il y a plus longtemps qu’elle l’est.
Ils semblent s’occuper de tout sauf de ce qui a une portée immédiate. Ils fuient donc les responsabilités, toutes celles que l’on peut assumer qu’en abordant les problèmes immédiats et concrets, ceux qui engagent des risques personnels. Ce sera l’honneur de la Bretagne, qu’il y en ait que nous qui fasse exception à la règle et semble s’être aperçus que l’idéalisme et l’idéologie peuvent aussi servir à échapper totalement aux réalités. Pour la plupart des autres, cependant « tout ce qui est réalisable est considéré comme non révolutionnaire et tout ce qui est considéré comme révolutionnaire est non réalisable ». Vouloir détruire ne suffit pas, il faut aussi savoir remplacer. L’agitation pour l’agitation et sans objectif concret ne peut se détruire elle-même. Même une société libertaire ne peut se passer d’un certain ordre. Les leçons de mai 1968 ne sont significatives que dans la mesure où elles démontrent, non seulement la fragilité relative de l’ordre rétabli par l’état monolithique de ses structures administratives et sociales, mais encore, dans la mesure où elles illustrent l’incapacité totale de la société politique française à se réformer, aussi bien révolutionnairement que pacifiquement.
Que s’est-il passé en effet? A paris, à Strasbourg, à Nantes, à Rennes, à Bordeaux, à Lyon et ailleurs, ce sont les étudiants non engagés, les intellectuels et les sans-groupes qui ont été le fer de lance de l’agitation politique et sociale. Les partis politiques de l’opposition d’une part, les syndicats ouvriers de l’autre, n’ont fait que suivre le mouvement, souvent avec répugnance, et seulement pour tenter de l’exploiter au maximum à leur propre profit. Seuls quelques intellectuels et politiciens du P.S.U., des Clubs et les représentants de nos mouvements nationaux en Bretagne, en Alsace, en Occitanie et au Pays Basque, ont osé se compromettre avec les « révolutionnaires », proclamer l’autonomie des universités, demander l’autonomie des régions, suggérer la co-gestion des grandes entreprises publiques et privées…
La gent politicienne dite de droite est restée muette et atterrée, comptant sur le Général de Gaulle, les C.R.S. et l’armée pour la sauver de la débâcle. Celle dite de gauche n’y a vu qu’une occasion possible de s’emparer du pouvoir, de chausser à son tour les bottes de l’unitarisme politique et de la centralisation économique et sociale, de substituer un ordre bourgeois et conformiste dit de droite. On a vu ainsi le P.C. de M. Waldeck Rochet et de M. Marchais se faire le champion de cet ordre qu’il représente d’ailleurs aussi bien que M Pompidou et que M. Poniatowski. Les dirigeants de la C.G.T. même, dociles serviteurs du P.C., souvent désavoués par leurs troupes, au lieu de soulever le problème des structures de l’ordre établi, n’ont rien fait d’autre que d’essayer d’arracher à une société capitaliste de consommation qu’ils abhorrent en parole mais révèrent en secret, le maximum d’avantage matériels. Dirigeants politiques et dirigeants syndicaux savent fort bien eux-mêmes que, ce faisant, ils se sont refusé à aborder le problème de fond, ces mêmes problèmes que ne tiennent nullement à aborder non plus leurs interlocuteurs patronaux ou les représentants du gouvernement….
Le problème de fond, pourtant, c’est le changement total d’une société politique, économique et sociale sclérosée: c’est, dans tous les domaines, le bouleversement de ses institutions fondamentales. Au fond de la « révolution » qui cherche depuis une dizaine d’années à s’exprimer partout en Europe, il y a le rejet égal des structures d’une société capitaliste dite libérale qui ne tient pas de l’homme un compte suffisant, comme celle d’une société socialo-communiste qui, en ne faisant que remplacer le capitalisme privé par le collectivisme et le capitalisme d’État, s’est révélé également incapable d’assurer l’épanouissement de ce même homme dans la liberté. Ceux qui luttent à Paris ou à Madrid, à Bilbao ou à Rennes, sont mus par les mêmes pensées et les mêmes aspirations que ceux qui luttent à Prague, à Budapest, à Kiev ou à Moscou. Ce qu’ils demandent ce sont moins des avantages matériels que des libertés, c’est le droit de participer eux-mêmes, en hommes responsables et majeurs, à la conduite de la société et à la direction de leurs propres affaires.
C’est cela qu’ils demandent avec une égale force à l’ordre néo-capitaliste, centraliste et autocratique de la France et de l’Espagne, comme à l’ordre également dictatorial, étatique et centraliste qui règne dans les démocraties dites populaires. Partout ce combat est le même: il est celui de la liberté. Face à l’égal conservatisme politique et social que représentent ces deux systèmes de sociétés qui se partagent l’Europe d’aujourd’hui, ils veulent l’établissement d’une société libre et nouvelle où ils cesseront d’être des instruments, des robots, des sujets ou des esclaves pour devenir vraiment des hommes et des citoyens.
Ici encore, la clef du problème est, dans tous les domaines, l’auto et la co-gestion, l’autonomie, la responsabilité, la participation, la libre gestion de la commune par ses habitants, de la région par ses forces vives, de la profession par ses membres, de la grande entreprise par ses ouvriers, ses patrons, et ses cadres, de l’université par ses enseignants et ses étudiants, de l’école par la commune et les parents d’élèves. Mais, de ce « dépérissement de l’état », de cette révolution profonde et fondamentale de toutes les structures, seule capable d’assurer en France le règne de la liberté, aucune des formations politiques ou syndicale centralisée de l’État français ne veut.
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Quatrième texte de la sélection du manuscrit de Yann Fouéré non publié de 1972: « Lettre Ouverte aux Bretons et aux Français »
Il semble donc ressortir de cette analyse que nous ne pouvons compter, pour un renouvellement profond de la société française sur aucune des forces politiques ou syndicales organisées eu sein de l’État français et qui citent le cadre géographique de ce dernier pour leur action. Ceci d’autant plus qu’il n’existe aucune possibilité révolutionnaire, à moins d’un effondrement militaire ou d’une révolte de l’armée, hypothèses improbables dans l’Europe où nous vivons, contre les États centralistes et policiers d’aujourd’hui. Ce renouvellement profond ne peut donc venir que d’une pression continue, tenace et persévérante des citoyens, de leurs groupes et de leurs forces organisées collectives sur tous les appareils du pouvoir. Ces forces, au surcroit, doivent s’organiser dans un cadre différent de celui de l’État centraliste qu’il faut détruire: c’est la seule condition possible de son démembrement, lequel est à son tour le seul moyen de réduire en réduisant sa taille, les pouvoirs absolus qu’il exerce sur les citoyens français, Bretons et autres. Il n’y a de nos jours que deux cadres de lutte à long terme efficaces aux forces organisées des citoyens: celui de la région, d’une part, par conséquent, celui des nations et des communautés naturelles vraies, celui de l’Europe, d’autre part. On apercevra tout de suite que ce combat ne peut avoir de chances de succès que si les garanties juridiques des droits des hommes et des groupes, de la liberté politique d’expression, d’association, de grève, d’information et d’action sont à toute épreuve, si donc que la notion de souveraineté absolue des États soit détruite, et que l’exercice de cette souveraineté soit strictement limité tant dans l’ordre interne que dans l’ordre international. On ne rendra pas l’État français à ses citoyens tant qu’il n’aura pas rendu nos régions et nos nations à leurs hommes.
C’est la nation et non l’État qui sont les cadres naturels de la vie des Hommes.
Il est évident dans le monde d’aujourd’hui que les changements de système politiques économiques ou sociaux ne font pas disparaître les problèmes ethniques et nationaux. C’est à l’intérieur de ces cadres naturels que la vie doit naturellement s’organiser. C’est dans ce cadre que doit aussi tout naturellement s’insérer le combat des citoyens. Et les nations et les régions d’autre part doivent se faire équilibre, et, débarrassé de l’impérialisme inévitable des États, s’organiser aux sein d’une unité supérieure qui les unissent sans les absorber, et empêchera les États qu’elles se donneront de confisquer les droits de leurs citoyens.
Sans le retour à ce cadre naturel de combat, on ne fera que renforcer le cadre artificiel de l’État français: c’est ce que font aujourd’hui les partis politiques et les forces syndicales qui persistent s’organiser dans son sein. Ce faisant, les uns et les autres se font les complices de 1’amenuisement des libertés et de l’asservissement des citoyens. Ils ne font que les berner, se font aussi les complices de l’aliénation de nos nations. Aussi progressistes qu’ils se déclarent, quelles que soient leur couleur politique ou leurs intentions, ils ne peuvent que renforcer l’absolutisme et le centralisme de l’État. Quels que soient leurs efforts, ou leurs promesses, sincères ou non, ils se révéleront toujours incapables de faire régner parmi tous les citoyens, qu’ils soient Bretons ou Français la liberté et l’égalité réelles que nous avons déjà définies, et qui n’ont rien à voir avec la liberté et l’égalité formelles proclamées par les appareils de l’Etat. Que ce cadre de l’État Français soit artificiel et contre nature est une évidence, puisqu’il ne se maintient que par une centralisation politique, économique, administrative et culturelle renforcée, emprise que la classe technobureaucratique qui le dirige craint par dessus tout de relâcher. Cette dernière sait fort bien que ses privilèges et ses pouvoirs ne sont pas menacés par des luttes politiques ou sociales qui sont menées dans ce cadre qu’elle entend maintenir: elles savent fort bien que même si ces forces contestent la forme ou l’exercice de leur pouvoir, elles n’en menacent pas l’existence puisqu’elles refusent de contester l’organisation, le cadre et la pérennité de l’État. Si les dirigeants de l’État français, ceux d’aujourd’hui ou ceux de demain craignent de rendre l’État français à ses citoyens, c’est qu’ils seraient obligés du même coup de rendre nos nations à leurs hommes. Ils perdraient ainsi les avantages, réels ou illusoires, tangibles ou prestigieux, matériels et spirituels à la fois que leur procure leur appartenance à une nation ou à un peuple dominant sur nos nations et nos peuples dominés. Ceux même qui les contestent au sein de ce même cadre, savent fort bien qu’ils sont solidaires avec eux pour ce point. C’est une loi de nature que chaque groupe dominant profite spontanément de sa situation.
J’ai déjà décrit le processus par lequel le développement de notre nation diminué est entravé par son appartenance au cadre artificiel de l’État français.
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Cinquième texte de la sélection du manuscrit de Yann Fouéré non publié de 1972: « Lettre Ouverte aux Bretons et aux Français »
De même que le monde est aujourd’hui beaucoup plus divisé en nations prolétaires et en nations privilégiées qu’en classes prolétaires et en classes privilégiées, cette situation affecte aussi l’Europe et, à 1’intérieur de 1’Europe, chacun des grands États qui ont rassemblé dans une unité politique artificielle, des nations, des régions ou des communautés naturelles différenciées. Si la Bretagne est une nation prolétaire au sein de l’État Français, la Sicile et la Calabre, sont, toutes proportions gardées, des régions prolétaires au sein de l’État Italien. Or de même qu’il peut y avoir de manière aigüe ou de manière atténuée, conflits de classes et solidarité de classes au sein d’une nation on d’une communauté populaire différenciée, qu’elle soit dominante ou dominée, il ne peut y avoir une effective et totale solidarité de classe mais seulement opposition ou conflit, apparent ou non, entre les classes de la nation ou de l’État dominant, et celles de la nation ou de la région dominée. Si le fait est d’une aveuglante réalité dans les rapports entre le tiers monde d’une part, 1’Europe et les Etats Unis, d’autre part, il n’en subsiste pas moins sous une forme atténuée et moins apparente, à 1’intérieur de 1’Europe et au sein même de l’État Français. C’est dire qu’aujourd’hui le dogme de la lutte des classes, qui est un axiome fondamental de la pensée Marxiste doit être révisé, autant dans ses prémisses que dans ses conclusions.
Cette révision peut être déchirante pour certain qui préfèrent continuer à croire aux vérités révélées plutôt que de remettre un dogme en question et d’être ainsi confrontés aux réalités concrètes. Elle n’est que raisonnable pour d’autres, pour lesquels les faits et réalités transcendent les théories, et qui savent qu’il est aussi d’autre socialisme que de Marx. Lorsque ce dernier a formulé sa célébré Loi de l’Accumulation Capitaliste, aux termes de sont intervenus depuis: à savoir extraordinaire développement du facteur “national” dans la vie des peuples, et celui du “syndicalisme” des travailleurs dans les États occidentaux. Il ne faut pas oublier qu’il écrivait à une époque où, conformément à la révolution bourgeoise de 1789, les associations et groupements d’ouvriers étaient interdits, et où tous les esprits « éclairés” et progressistes” de Marx à Hugo, à Zola, croyaient en l’élimination progressive des frontières étatiques et des différences entre nations.
‘Les faits,’ dit André Malraux, ‘ nous démontrent que ce n’est pas Marx, mais Nietzche qui avait raison lorsqu’il disait que le XXème siècle serait celui des guerres entre nations. Le fait est, qu’aujourd’hui nous assistons à un phénomène formidable: la naissance ou la renaissance des nations dans le monde entier et, que ces nations qui surgissent ou ressurgissent ne sont pas celles d’hier” (1)
Alors que Marx niait 1es réalités nationales et professait qu’elles n’étaient que le produit du capitalisme, on s’aperçoit aujourd’hui qu’elles transcendent les problèmes économiques et sociaux. Réalités naturelles, elles n’ont rien à voir avec les théories, les régimes et les gouvernements. Communisme et Socialisme sont aussi impuissants à les faire disparaître que ne laquelle les riches deviennent toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres, il ne pouvait tenir compte de deux au moins des phénomènes fondamentaux qui l’est le Capitalisme. Ces frontières étatiques et ces consciences nationales n’ont fait que se renforcer depuis un siècle, les solidarités nationales étant devenues, grâce à leur contenu émotionnel savamment entretenu par les États-Nations, plus effectives et plus fortes que les solidarités de classes, témoins des guerres civiles européennes qui ont marqué notre temps.
A l’abri de ces frontières étatiques, le syndicalisme des travailleurs s’est fortement organisé en Europe, se moulant étroitement sur elles, faisant à chaque instant pression sur les États par la grève, 1’arbitrage ou 1a négociation, pour améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière.
Grâce à cette action correctrice exercée par les gouvernements par le jeu de la législation, de 1a fiscalité, des dévaluations monétaires et des mesures sociales, on assiste aujourd’hui dans nos sociétés européennes à un nivellement de plus en plus progressif des classes sociales.
L’écart entres 1es riches et les pauvres, loin comme le prévoyait Marx, diminue effectivement, d’une manière plus ou moins accentuée ou rapide, selon les différents états. L’observation ne vaut pas encore pour le Tiers monde en voie de développement, ou 1a richesse de quelques uns, comme dans l’Europe au 19ème siècle, contraste avec le dénuement du plus grand nombre.
Limitant ses observations à l’Europe, Marx ne pouvait pas non plus deviner la loi, que les travaux des économistes les plus modernes ont permis de formuler et, qui est celle de l’égalité de l’inégalité. Elle révèle que la répartition des revenus dans une société donnée est indépendante de la structure politique et sociale de l’État. Elle est la même proportionnellement bien entendu, dans les sociétés primitives, dans les sociétés capitalistes, comme les U.S.A., ou communistes comme l’U.R.S.S.. On peut certes atténuer artificiellement, les inégalités relatives à 1’intérieur de chacune de ces sociétés. C’est ce que font la plupart des États européens, avec des degrés divers, on ne peut pas les supprimer complètement. Rappelons-nous d’ailleurs que l’égalité absolue est une chose que la nature ignore absolument.
Les même recherches et les constatations 1es plus simples montrent cependant que si, à l’intérieur d’une société nationale déterminée les inégalités restent proportionnellement les mêmes, les inégalités de ces sociétés nationales, entre elles, varient de un à soixante dix huit dans le monde d’aujourd’hui.(2)
Elles varient même au sein de l’Europe. C’est dire que si la loi Marxiste de l’accumulation des richesses ne s’est pas vérifiée à l’intérieur des sociétés nationales, grâce aux correctifs de la législation et de la politique, elle se vérifie pleinement dans la société internationale où, faute d’autorités politiques communes, aucune correction ne peut, pour l’instant, y être apportée. Les nations pauvres y deviennent de plus en plus pauvres, et les nations riches de plus en plus riches. A la misère croissante des deux tiers de 1 ‘humanité correspond la richesse croissante de l’autre tiers. Ce n’est pas sans raisons que le Traité de Homme assigne comme tâche principale aux Communautés Européennes de réduire les disparités entre les régions de l’Europe: le niveau de vie de la Bretagne ou de la Sicile est sensiblement moins élevé que celui de la région parisienne, mais, que dire de l’écart énorme entre celui, de l’Afrique et celui de l’Europe? ….
L’analyste et historien Catalan Jordi Ventura (3) indique trois facteurs comme étant également responsables, dans notre monde, de cette inégalité entre les sociétés nationales: le capitalisme, qui est de plus en plus contrôlé à l’intérieur des pays riches par la disparition du libéralisme économique et l’action puissante des organisations de travailleurs, sévit sans contrôle dans le domaine des relations économiques internationales, le syndicalisme professionnel et ouvrier des pays industrialisés et développés, ensuite, dont l’action se fait sentir sur le commerce international à travers son action continue sur les salaires qui, en provoquant le coût croissant des produits industriels et manufacturés nécessaires au développement des nations pauvres, modifie les rapports réels d’échange avec les pays opprimés ou sous développés; le communisme de l’U.R.S.S, enfin, qui prélève une partie de la production des autres nations soumises à son ordre politique par le moyen de sociétés étatiques mixtes, par des accords commerciaux léonins avec les états satellisés comme la Tchécoslovaquie et la Roumanie et par 1’organisation de monoproductions obligatoires dans certaines régions, comme en Lituanie et au Turkménistan, assurant ainsi leur dépendance économique totale vis à vis de l’État dominant. C’est pourquoi on peut dire que dans nos sociétés développées, la lutte des classes s’est en fait transporté des classes aux nations. Toutes les classes sociales sans exception, appartenant aux peuples privilégiés, sont en réalité complices dans la domination et l’exploitation des peuples prolétaires, dont toutes les classes, à leur tour, souffrent
solidairement, sinon également, de cette exploitation. Les salaires élevés de l’Amérique du Nord et de l’Europe sont pour une large part acquis aux dépens des peuples prolétaires qui leur ont vendu des produits primaires à bon marché: blé, viande, lait, sucre, café, pétrole, minerai, textiles….et qui leur ont acheté des produits industriels ou manufacturés de plus en plus chers.
Aucune des classes sociales des peuples riches et des États dominants, la classe ouvrière moins que tout autre, n’est disposée à risquer l’abaissement de son niveau de vie pour améliorer celui des peuples pauvres et des nations dominées. Elles manifestent certes leur solidarité et leur compassion aux combats du tiers-monde sous développé. Mais cette solidarité ressemble fort à celle d’un crocodile car, elles bénéficient toutes de cette situation. Elles collaborent en réalité les une et les autres pour en tirer profit. Marx disait que les prolétaires n’avaient pas de patrie. Tout démontre aujourd’hui le contraire. C’est pourquoi, à l’aide de ces éléments nouveaux et inconnus de Marx, on peut dégager une autre loi, qui serait la suivante: « Les classes sociales appartenant à une société nationale distincte et particulière, indépendante ou non, sont plus solidaires entre elles qu’avec les classes sociales, similaires ou correspondantes, appartenant à une autre société nationale qui tient la première sous des rapports de dépendance politiques, économiques ou culturels….. »
(1)Déclaration à la Revue ”Encounter” citée par Nouvelle École-n° 7 mars 69.
(2)Atlas de la Banque mondiales
(3)Ar Vro N°15
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Sixième texte de la sélection du manuscrit de Yann Fouéré non publié de 1972:
« Lettre Ouverte aux Bretons et aux Français »
Si l’on doutait de cette analyse, il suffit de rappeler, pour nous limiter à la seule Europe occidentale, que les ouvriers de l’État Belge s’élevèrent violemment contre l’abandon du Congo, craignant de voir diminuer les bénéfices et les avantages que leur procurait, en fait l’exploitation des noirs congolais – que socialistes et communistes français votèrent les pleins pouvoirs pour la répression de la révolte algérienne et le maintien du colonialisme en Afrique du Nord ; – que plus récemment, les syndicats parisiens firent grève pour protester contre l’augmentation des tarifs de transport de la R.A.T.P., dont le déficit (un milliard de N.F.) est supporté à 80% par l’ensemble des contribuables français, donc par tous les « provinciaux », dont les Bretons… Les syndicats parisiens contribuent donc sciemment à réduire le niveau de vie des Bretons pour leur permettre d’améliorer le leur, nonobstant le fait que selon des statistiques que personne ne songe à contester, le salaire des Parisiens est de 36% plus élevé que celui des Quimpérois et, 25% plus élevé que celui des Nantais et des Cherbourgeois. Les mêmes syndicats ne sont-ils pas les derniers à s’élever contre les disparités de salaires entre la Bretagne et la région parisienne, et à marchander leur solidarité aux combats de nos ouvriers et de nos paysans ? Le niveau de vie de nos métropoles industrielles ne repose-t-il pas pour une large part sur le bon marché des produits agricoles que nous produisons ?
A l‘heure où ce sont des centres de décisions extérieures qui contrôlent de plus en plus la vie politique, économique, sociale et culturelle de la Bretagne, il existe entre les classes sociales bretonnes, si tant est qu’elles se différencient encore clairement, beaucoup plus de solidarité de fait, même si elles ne s’en rendant pas clairement compte ou ne veulent pas 1’admettre ou l’avouer, qu’entre les travailleurs bretons et les travailleurs parisiens, qu’entre les paysans bretons et les beaucerons ou les picards.
Les nations et les régions prolétaires sont aujourd’hui celles qui, indépendantes ou non, sont obligées de céder une partie de leur revenu et de leur richesse humaine à d’autres nations ou régions, soit dans le cadre intérieur d’un état unitaire ou autoritaire, soit dans celui des échanges internationaux. Ce sont elles qui sont le prolétariat moderne. Des colonies n’ont fait disparaître que le nom. Les détails, les degrés et les modalités de cette exploitation ou de cette colonisation varient bien entendu selon les cas. Ces nations et ces régions prolétaires n’ont pas encore pu s’associer pour leur défense comme l’ont fait les organisations ouvrières à l’intérieur de chaque état, si du moins, celui-ci ne leur interdit pas.
Il n’y a pas encore, du fait de la souveraineté absolue de chaque État, de grève possible ou de boycott efficace dans le domaine international. Il n’y a pas non plus encore, du fait du monolithisme et de l’unité indivisible de l’état français, de grève possible de 1’ensemble de la Bretagne à l’intérieur de la Société française… Il en sera ainsi tant qu’il n’y aura pas dans le domaine international autant qu’à l’intérieur de chacune des grandes formations étatiques, d’institutions politiques et administratives, de règles, de recours, de contrats d’arbitrages, autrement dit un ensemble de mesures concrètes pour la protection des nations et des régions, comparables à celles qui ont été peu à peu conquises, élaborées ou créées dans les États démocratiques modernes pour pallier aux maux, à leurs conséquences pour les travailleurs , nés de l’application du libéralisme économique pur, au sein des sociétés industrielles, ou, si l’on veut, à ceux de l’accumulation capitaliste décrite par Marx.
Le combat que, depuis plus d’un siècle, le monde du travail a mené et continue de mener pour recouvrer le droit à l’association et à l’action concertée d’abord, droit qui leur avait été enlevé par la Révolution française, celui de participer à la gestion et au contrôle des entreprises ensuite, doit être complété par le combat du citoyen pour retrouver le centrale du gouvernement de la cité dans son ensemble, et la maîtrise du cadre politique et administratif dans lequel s’insère sa vie de tous les jours. Si le combat du monde du travail a réussi dans l’État Français, comme au sein des États de démocratie libérale, à marquer des points incontestables, le combat du citoyen n’en a marqué pratiquement aucun depuis la Révolution française. Ceci vous intéresse vous tous citoyens, que vous soyez Bretons ou que vous ne le soyez pas, cela nous intéresse encore plus nous Bretons, car la conquête du droit, des institutions et des mesures concrètes, seules susceptibles de nous rendre à nouveau maîtres du destin de notre nation, n’a marqué aucun progrès depuis que la même Révolution Française nous a privé de ce droit, que tout imparfait et limité qu’il fut, nous possédions avant elle.
Nous avons le droit, nous aussi de nous grouper et de nous associer à nouveau, en tant que Bretons. Nous ne pouvons rien changer à notre statut colonial de nation prolétaire et de région périphérique sous développée, soumise à des intérêts et des centres de décision extérieurs, envahie par des hommes qui en sont les bénéficiaires ou les complices, si nous ne recouvrons pas ce droit. Ici encore il ne s’agit pas de théorie ou d’idéologie : il s’agit d’une action concrète pour des mesures concrètes, pour la conquête desquelles tous les Bretons sont en fait solidaires. Nous n’avons pas de question à nous poser sur ce que doit être le cadre de notre combat : c’est le cadre naturel qui a été pendant dix siècles celui de la vie du peuple breton, celui de notre nation, celui dont un pouvoir extérieur pour des fins d’impérialisme, de volonté de puissance et d’accumulation de richesses a voulu nous priver.
Notre combat, en d’autres termes ne sera efficace que s’il est spécifique, que s’il ne s’égare pas dans la recherche de la société utopique universelle vers laquelle tend obscurément l’ensemble de l’humanité, l’ensemble de ses peuple et de ses nations, mais qu’ils n’atteindront qu’à travers les formes concrètes et diverse que cet idéal revêt pour chacun, d’entre eux. Noue devons nous garder de sacrifier le concret à l’abstrait. Si nous avons perdu en Bretagne notre manière particulière de nous gouverner nous même, et le mode de vie personnel de notre société humaine, ce n’est pas seulement parce que nous avons été conquis militairement par un pourvoir extérieur, c’est aussi parce que certains d’entre nous à une époque ou une autre de notre histoire, ont commis 1’erreur de sacrifier des libertés réelles et des droits concrets à la liberté théorique et à des concepts abstraits d’organisation politique et sociales. L’ensemble de la société Bretonne qui n’avait accepté qu’à regret la perte de l’indépendance était, à la veille de la Révolution française, profondément attaché à 1’autonomie politique que lui avait garantie son traité d’union avec la France.
Malgré les orages qui marquèrent le règne de Louis XIV, elle avait réussi à la conserver.
Elle savait que les institutions concrètes, dont personne ne contestait qu’elles étaient imparfaites et qu’elles devaient évoluer avec leur temps, la protégeaient contre les entreprises du pouvoir absolu de l’État Français, lui permettaient de conserver un système de gouvernement beaucoup plus libéral, beaucoup plus « démocratique » avant la lettre, que ne l’était celui sous-lequel vivaient la plus grande partie des Français du Royaume. Sa constitution particulière et son autonomie lui avaient assuré des avantages politiques, administratifs et financiers tangibles!
Si l’on se reporte à l’esprit public qui régnait à l’époque, à travers les témoignages qui sont parvenus jusqu’à nous, on s’aperçoit que pour beaucoup de bretons, le grand mouvement de réformes qui allait devenir la Révolution Française était un moyen, non seulement de moderniser, tout en la maintenant, la constitution particulière à la Bretagne, mais encore d’apporter à tous les Français des libertés politiques dont ils ne jouissaient pas, mais dont le nation Bretonne, elle jouissait grâce à ses États, à ses « commissions » intermédiaires, à l’autonomie politique et au système parlementaire qu’elle avait conservé. Les Bretons étaient à Versailles les missionnaires de la liberté, les fondateurs du « Club Breton” ceux qui avaient su victorieusement résister aux tentatives et à 1’envahissement du pouvoir absolu. Ils allaient servir à la France entière de modèle, en y établissant la monarchie constitutionnelle sous le régime de laquelle eux Bretons vivaient déjà du fait de leurs assemblées et de la forme autonome de leurs gouvernement. La « Nation” chez eux était restée plus puissante que l’État.
Dès lors, bien que les députés Bretons à Versailles refusèrent, car ils n’en avaient pas reçu le mandat, d’abandonner au cours de la nuit du 4 Août 1’autonomie, les droits et la constitution particulière de la Bretagne, ceux d’entre eux qui en étaient cependant partisans commirent l’erreur de sacrifier le concret à 1’abstrait, le réel à la théorie. Nous n’avons pas besoin, disaient-ils de nos droits particuliers et de nos libertés Bretonnes, puisque tous les Français Bretons y compris, vont maintenant, grâce à la nouvelle constitution libérale qui sera adoptée, jouir des libertés et des droits politiques dont jouissent déjà les Bretons. Si les bénéfices de l’égalité, de la liberté et de la fraternité s’étendent désormais à tous les citoyens Français, les Bretons en jouiront comme les autres. L’abandon de leurs institutions particulières leur paraissait de peu de conséquence devant l’ère de liberté qui s’ouvrait et qui devait bénéficier à tous les peuples unis de la France, On sait aujourd’hui ce qu’il en est advenu et qu’ils ont en réalité lâché la proie pour l’ombre.
On sait aujourd’hui que donner aux Bretons des droit théoriques identiques à ceux de tous les citoyens équivalaient en fait à les priver de droits élémentaires qui leur sont particuliers, et ne concernent pas les autres citoyens Français. B de St Laurent a raison de souligner que ce n’est sans doute pas une simple coïncidence que ce soit le même député Breton le Chapelier qui se soit trouvé favorable à l’abandon des droits concrets de la Bretagne, et qui ait été aussi à l’origine de la création du délit de « coalition”, dont le but était d’interdire la constitution entre les hommes de tout groupement d’intérêt quel qu’il soit. Le monde du travail a mis plus d’un siècle à reconquérir le droit de s’unir pour former des syndicats que ce délit de coalition leur interdisait. Les hommes de nos nations n’ont pas encore retrouvé le droit de régler leurs propres affaires. Ils n’ont pas recouvré les droits concrets et les libertés réelles dont personne ne niait qu’elles étaient perfectibles mais qui existaient, et qui étaient bien à eux seule, et avaient jusqu’à là contribué puissamment à les protéger contre l’arbitraire de l’État Français et ces prétentions au pouvoir absolu.
Les Corses, à peu près à la même époque, ont fait une erreur du même genre, qui fut fatale à leur patrie. La République Corse dont les institutions et les lois faisaient l’admiration de l’opinion éclairée de l’époque avait été conquise militairement en 1769 par les armées de l’ancien régime. Les patriotes Corses crurent qu’à l’occasion de la Révolution, leur république pourrait renaître et que les institutions éclairées qu’on allait donner à l’ensemble de la France leur permettraient de retrouver les libertés particulières qu’ils avaient perdues. Pour eux l’ennemie n’était pas la France c’était l’Ancien Régime. Pasquale Paoli, que la conquête française avait condamné à l’exil fut rappelé en Corse par l’Assemblée Nationale en 1790 à la demande des députés Corses. Trois ans après, la Corse dut à nouveau faire sécession. Elle se leva à nouveau en armes, comme le firent les Bretons, pour protéger ses libertés. Les forces de la Convention et celles de Bonaparte la reconquirent à nouveau militairement, exactement comme l’avait fait le Roi de France 25 ans auparavant.
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Septième texte de la sélection du manuscrit de Yann Fourré non publié de 1972 :
« Lettre Ouverte aux Bretons et aux Français »
Il ne faudrait pas aujourd’hui que, sous prétexte, d’un nouveau « messianisme » ou d’un nouvel évangile comparable à celui qui animait les grands prêtres et les disciples de la Révolution Française, les bretons commettent à nouveau l’erreur de faire bon marché des libertés spécifiques, personnelles et particulières qu’il leur faut reconquérir pour survivre, au bénéfice d’un autre système théorique à prétentions universelles, celui-ci s’appelle-t-il socialisme, capitalisme, européisme, mondialisme, communisme ou même fédéralisme, si ce dernier refusait, par extraordinaire, d’institutionnaliser les libertés fondamentales concrètes et diverses, capables de rendre l’État à ses citoyens et nos nations à leurs hommes.
Les traités, les accords, les conventions, les recours juridictionnels, les conseils, les institutions en un mot, sont la seule garantie, dans n’importe quelle société, que la conquête des droits et des libertés soit durable. L’esprit d’entreprise ou de conquête qui n’organise pas le terrain conquis, qui ne s’institutionnalise pas, se condamne à rester sans lendemain. Une institution, une garantie juridique, un recours juridictionnel, dans un monde développé et civilisé et régi par des règles de droit, ne font nullement obstacle à un changement ou à transformation de la société. Ils sont toujours adaptables. Ils ne sont que le garde-fou nécessaire et 1’antidote aux aventures et aux rêves messianiques, vers lesquels leur tempérament a toujours porté les Celtes, ce qui a toujours fait dans le passé leur faiblesse et rendu leurs révoltes sans lendemain. Lorsqu’il s’agit de protéger et de développer un peuple, s’assurer son épanouissement social et culturel, il faut adopter les mesures les plus efficaces, celles qui viennent de 1’expérience même si elles sont empruntées à des systèmes de gouvernement et de pensée différents, voire même opposés. Alors que toute caste ou toute école idéocratique subordonne les valeurs concrètes et les faits à des entités abstraites et théoriques les systèmes concrets reconnaissent au contraire la primauté du réel. Dans le cas de la Bretagne et du peuple Breton, ils posent comme impératif premier, non pas leur alignement sur les principes d’une idéologie quelle qu’elle soit, mais leur survie et leur développement, le maintien de leur liberté, la conservation de leur spécificité, de leur potentialité et des valeurs concrètes qu’ils représentent. En 1789, le concret c’était les institutions Bretonnes imparfaites peut être, mais perfectibles, l’abstrait c’était la société Française théorique que l’on allait créer, celle qui serait mais n’était pas encore…
L’abstrait de nos jours, c’est la société socialiste Française théorique, celle qui n’existe pas encore, mais, qui cependant, nous l’avons souligné, ne serait sans doute qu’un capitalisme finalisé, plus proche du modèle soviétique que du socialisme à visage humain, seul capable de faire du citoyen le libre dirigeant de la cité. La minorité, qui au sein des différentes écoles, cercles ou partis socialistes lutte pour cette dernière forme de socialisme, se rend-elle clairement compte qu’une victoire des forces socialistes telles qu’elles sont aujourd’hui constituées serait redoutable pour la liberté et les libertés, si l’on n’avait d’abord réussi à briser le centralisme institutionnel et politique de l’État Français?
Il est vain de croire que l’on fera tout en même temps, si l’on ne démantèle pas préalablement l’État centraliste, on n’évitera jamais en France l’impasse du capitalisme bureaucratique d’État à la mode soviétique. Qui pourrait croire un instant que les technostructures socialistes accepteraient plus que les capitalistes de se dépouiller de plein gré d’une partie des pouvoirs que la conquête de l’État aura mis à leur disposition? Il ne suffit pas de dire et de penser « qu’en France le socialisme sera fédéral ou qu’il ne le sera pas » (l) pour que le socialisme à visage humain règne dans la lumière, pour que l’État soit rendu à ses citoyens et nos nations, à leurs hommes. C’est pourquoi, je1′ai déjà dit qu’on ne rendra jamais l’État Français à ces citoyens si l’on ne rend pas d’abord nos nations à leurs hommes. C’est 1à un préalable essentiel et sur lequel il me faut insister. Car nous sommes ici en présence de plusieurs sortes d’erreurs.
Certains de ceux qui militent au sein des partis hexagonaux français dits de gauche, ou même ceux qui au sein de partis Bretons font passer la conquête du socialisme avant celle des libertés et de l’autonomie bretonnes pensent que c’est une erreur de vouloir libérer la nation bretonne avant que le socialisme ne soit réalisé. Nous ne voulons pas, disent-ils, d’une Bretagne libérée, si elle n’est pas socialiste. Nous sommes nombreux à penser au contraire, que ce n’est pas parce qu’il y aura une France officiellement socialiste qu’il y aura pour cela une Bretagne socialiste, ni même de socialisme en Bretagne, car un socialisme dirigé par un État Français centraliste sera, forcément impérialiste et Colonialiste, exactement comme le socialisme soviétique. « Si le socialisme l’emporte par la voie Française’, écrivait déjà en en 1913, Émile Masson l’un des premiers nationalistes bretons à avoir milité pour le socialisme, ‘il ne s’établira en Bretagne que par la méthode jacobine, autoritaire.’’(2) La seule chance que peut avoir le socialisme à visage humain de s’établir en Bretagne, c’est que la Bretagne ait été préalablement libérée et dégagée des structures centralistes de l’État Français. Indirectement c’est également, par voie de conséquence la seule chance que peuvent avoir les citoyens français dans leur ensemble de se voir appliquer un jour un socialisme qui soit à visage humain: car notre libération du carcan, centraliste et celle des autres nations et régions soumises seront seules capables de le rendre possible.
Le préalable, ce n’est pas, pour les Bretons, le socialisme, c’est la conquête de nos libertés. On ne voit pas comment on pourrait réaliser le socialisme en Bretagne, qui pour être à visage humain, devra être spécifique, particulier, autonome, adapté à nos propres besoins et résoudre nos propres problèmes avant que le peuple Breton n’ait conquis le droit de décider de son propre sort, qu’il ait été libéré, par conséquent, du système qui le régit. Agir autrement est faire dépendre notre liberté et nos libertés d’un préalable Français, voire même européen, dont le peuple Breton ne peut pas être maître, et sur l’avènement duquel il ne peut à lui tout seul valablement influer. C’est dire que nous risquerions fort de ne jamais les obtenir.
Le problème n’est pas nouveau. Si nous nous trouvons aujourd’hui confrontés avec ce préalable socialiste dans lequel nombre de militants sincères semblent s’être fourvoyés, nos aînés se sont trouvés, il n’y a guère plus de trois quarts de siècle, devant un autre préalable: le monarchiste. De nombreux militants régionalistes enthousiastes, alors que le nationalisme Breton ne s’était pas encore clairement défini, estimaient alors que « c’était une erreur de vouloir réaliser la liberté de la nation Bretonne avant que la monarchie, seule capable de rendre à la nation Bretonne ses libertés perdues, n’ait été rétablie en France ». On voit où cela les et nous a menés. On aperçoit aussi où le préalable socialiste nous mènerait; car si l’on accepte un quelconque préalable, il en résulte qu’il faut d’abord lutter pour sa réalisation, luttes pour l’objectif secondaire avant de lutter pour le principal. Cela revient logiquement à faire dépendre le destin de la Bretagne de la politique de l’État Français. Pourquoi, dans ce cas, créer des partis ou des mouvements Bretons, puisque, logiquement, il faudrait d’abord lutter au sein de simples sections bretonnes de partis Français, seuls capables de réaliser, en s’emparant du pouvoir à Paris, le préalable de votre choix.
(1)P. Fougeyrollas: Les Temps Modernes page 517
(2) Antée: Les Bretons et le Socialisme
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Huitième texte de la sélection du manuscrit de Yann Fourré non publié de 1972 :
« Lettre Ouverte aux Bretons et aux Français »
Les militants régionalistes, nationalistes et fédéralistes bretons qui ne sont pas socialistes accepteraient sans difficulté et sans arrière pensée une Bretagne socialiste s’il s’agit d’y instituer un socialisme à visage humain et si c’est là la volonté du peuple Breton. Mais, pour qu’il puisse y avoir une Bretagne socialiste, il faut, d’abord et avant tout, que la Bretagne existe politiquement. Ce n’est pas le cas. Il faut donc en priorité réaliser cette Bretagne politique. Seul un front commun peut le faire aujourd’hui. La première exigence d un front de Libération, car c’est en fait de cela qu’il s’agit, est de rejeter tout préalable, de faire passer l’essentiel avant l’accessoire, la finalité avant la contingence, l’action avant la discussion, le combat avant l’idéologie. Quel Breton d’ailleurs, qu’il soit socialiste ou démocrate chrétien, aperçoit qu’il lui serait infiniment plus facile de bâtir la Bretagne de son choix en se battant pour l’obtenir au sein d’une assemblée Bretonne élue par le peuple Breton, qu’au sein d’une assemblée hexagonale où les députés Bretons seront toujours impuissants, parce que toujours en minorité ? Le jour où l’assemblée Bretonne existera, les différentes familles politiques du peuple Breton pourront lutter politiquement et dans la clarté pour y conquérir la majorité et le pouvoir. Ce combat au moins sera limité et précis, et à notre portée immédiate, mais, d’ici là, toutes les familles politiques doivent s’unir pour conquérir d’abord et instituer ensuite, ce “Pouvoir Breton” qui nous manque et que nous savons tous être indispensable.
Ce qui divise aujourd’hui le mouvement politique Breton d’esprit national n’est donc pas ”l’essentiel”. Nous luttons tous pour une mesure plus ou moins large d’autonomie, dans tous les domaines et dans tous les sens du terme, nos différents groupements ne diffèrent d’avis que sur la manière de concevoir « comment » la Bretagne future sera organisée, dirigée et structurée politiquement et économiquement. Il faut certes y penser et chacun doit avoir sur ce point ses préférences. Cela ne doit pas nous faire oublier que l’on ne peut valablement organiser ou structurer un pouvoir qui n’existe encore que dans les rêves de nos militants, nous devons toujours garder à l’esprit que nous avons, d’abord et en premier lieu, à transformer le rêve en réalité.
Il nous faut nous conformer en la matière à la sagesse orientale et pratique du Président Mao qui écrit dans le Petit Livre Rouge « Il ne suffit pas de fixer les tâches! il faut encore résoudre les méthodes qui permettent de les accomplir. » Supposons que notre tâche soit de traverser une rivière, nous n’y arriverons pas si nous n’avons ni pont ni bateau. Tant que la question du pont ou du « bateau n’est pas résolue, à quoi bon parler de traverser la rivière ».
Si nos forces Bretonnes sont d’accord sur l’essentiel, comment se fait-il que ce soit l’accessoire qui soit capable à lui seul de les diviser ? C’est avant tout parce qu’elles commettent ici une autre erreur dont il faut nous débarrasser. La raison de cette erreur, il nous faut la trouver dans un certain opportunisme politique qui amène nombre de militants avides d’efficacité immédiate à emprunter aux partis et aux mouvements politiques Français leurs slogans et leurs objectifs, et mêmes leurs modes d’actions, et à transposer purement et simplement les thèmes de la politique française dans le cadre de la Bretagne. Tous ces militants semblent croire qu’il y a en Bretagne comme en France, les mêmes problèmes politique et que ces problèmes se posent dans les mêmes termes en Bretagne que dans n’importe quel pays d’Europe (ou du Tiers Monde, le cas échéant). Autrement dit, bien souvent, les militants Bretons d’aujourd’hui ne cherchent pas à apercevoir la « spécificité” du problème breton.
Or, la situation de la Bretagne, comme celle du pays de Galles par rapport à l’Angleterre, ou celle de l’Euskadi par rapport à l’Espagne, est radicalement différente de celle de la France pour la simple raison que nous n’avons pas à résoudre uniquement des problèmes de politique intérieure, ni même à mener un simple combat de libération, mais tout d’abord à créer dans notre pays une vie nationale s’appuyant sur des structures nationales propres. (I)
C’est parce que l’on oublie trop facilement ce fait essentiel que l’on entend souvent des militants sincères, sans parler du plus grand nombre qui ne le font que par simple raisonnement d’opportunisme politique, certains que nous obtiendrons plus rapidement la satisfaction de nos revendications fédéralistes et la création d’un véritable pouvoir breton, une certaine autonomie de la Bretagne en un mot, en militant à l’intérieur des partis politiques français, qu’en créant et en animant des partis politiques bretons séparés.
Ceux qui de bonne foi ou non, soutiennent ce raisonnement, ou bien ne connaissent pas l’histoire des mouvements de libération semblables à celui que mène le peuple breton, ou bien préfèrent en ignorer délibérément les leçons. Il n’est pas d’exemple, dans les cent dernières années, qu’un peuple soumis à la tutelle politique, culturelle, économique et sociale d‘une puissance coloniale ou d’un peuple dominant, ait obtenu sa liberté politique et son émancipation sociale en collaborant avec les partis et formations politiques qui s’inscrivent dans le cadre de l’état colonial ou du peuple dominant. La chose est vraie quelle que soit la nuance politique ou l’idéologie de ces partis, quel que soit l’État dans lequel ils agissent.
Au sein du parti libéral d’abord, du parti travailliste ensuite, de nombreux « régionalistes » et nationalistes Gallois, ont lutté pour les droits de leur pays sans résultat. Ceux-ci n’ont commencé , bien modestement, à être obtenus qu’après l’apparition d’un parti national gallois séparé, résolument distinct et opposé à tous les partis anglais sans exception. Bien qu’ils fussent pour la plupart réunis à la chambre britannique en un groupe séparé, les députés irlandais n’ont jamais réussi à obtenir le « Home Rule ». Ils n’aboutirent que lorsque les députés du « Sinn-Féin » (Ni Hon-Unan), eurent pris la décision de se réunir en un parlement séparé de Dublin et d’ignorer le gouvernement et les lois anglaises. Et, si pendant la courte existence de la République Espagnole, les Basques ont pu obtenir le statut politique particulier qu’ils réclamaient, c’est parce qu’un Parti Nationaliste Basque absolument indépendant de tout parti politique espagnol, de droite comme de gauche, avait mené le combat de leur autonomie politique.
Au cours des cinquante dernières années de nombreux députés régionalistes, autonomistes, fédéralistes ou nationalistes, venus de la Métropole, ou de ce que l’on appelait alors la France d’Outre mer, ont représenté leur pays à la Chambre des Députés Française. Ils ont généralement adhéré ou se sont associés à des formations politiques françaises, de la droite à la gauche, des M.R.P aux socialistes et aux communistes. Le cas des parlementaires alsaciens, algériens, antillais, africains et malgaches, vient immédiatement à l’esprit. N’a-t-on pas vu le député nationaliste somalien adhérer à l’U.N.R.? Certains même ont été ministres à Paris. Aucun d’entre eux n’a fait avancer d’un pas la cause de la liberté politique et de l’émancipation sociale de son pays. Jusqu’au jour où certains, las de militer pour rien dans des formations politiques françaises ou de collaborer avec elles, ont décidé de rentrer chez eux, d’y préparer et d’y diriger sur place les mouvements politiques ou insurrectionnels qui devaient réaliser leurs aspirations nationales. Car, en cette matière, la mendicité ne paie pas, sauf, quelques carriéristes sur le seul plan de leur réussite personnelle. Combien de patriotes et de militants, sincères au départ, ont-ils ainsi été achetés par la puissance coloniale et stérilisés par elle à son profit exclusif ? Leurs noms, en Bretagne même se pressent pour vous brûler les lèvres…
C’est ce qui, après une expérience déjà longue, me conduit à affirmer que tout engagement dans une formation politique qui ne soit pas d’abord exclusivement et intégralement bretonne est pratiquement stérile sur le plan de l’avance et du développement de la collectivité bretonne prise dans son ensemble. Cette politique sera toujours incapable d’amener un résultat décisif dans le combat que nous menons, ne recueillera que des miettes et des os à ronger, ne peut faire avancer le problème: elle ne le résoudra jamais. Le seul rôle utile que nous puissions reconnaître aux Bretons qui ont choisi de pratiquer cette politique, soit sincèrement, soit par opportunisme, est celui de miner la défense de l’adversaire et de jouer le rôle d’une cinquième colonne dans les rangs de l’ennemi. Mais il serait dommage qu’ils prennent eux-mêmes ce jeu trop au sérieux. Car si l’on veut aboutir, il importe que la cinquième colonne ne devienne pas par intérêt, lâcheté, opportunisme, carriérisme ou manque de courage, plus nombreuse que l’armée, qui seule peut emporter, sur place et en Bretagne même, l’indispensable décision.
On peut certes nous faire ressortir que la reconnaissance du fait régional par la plupart des partis hexagonaux ne peut que nous acheminer vers la solution de nos problèmes. A cela il est facile de répondre qu’il y a longtemps que ce problème agite nos milieux politiques et qu’il n’a pas encore été valablement résolu. Il a formé à toutes les époques et notamment depuis le début de la IIIe République l’un des tremplins de toutes les oppositions. Il est de surcroît complètement dépassé. Ce n’est plus de décentralisation qu’il s’agit, mais de rendre le pouvoir à ceux à qui on l’a volé, aux citoyens, à nos régions, à nos nations. Ce n’est plus de réforme qu’il s’agit, mais de « révolution » au sens propre du terme, plus « d’aménagement” administratif mais de bouleversement complet de structures politiques, économiques, administratives et sociales sclérosées. Pas plus que la droite française, la gauche française n’est prête à le concevoir, encore moins à le réaliser. Cette dernière le voudrait-elle, comme sa cure d’opposition voudrait nous le faire croire, qu’elle serait impuissante à mettre son programme en pratique; tant que l’État français sera ce qu’il est, tant qu’il existera sans les citoyens, tant qu’il se passera d’eux pour gouverner, tant qu’il continuera de confisquer la et les nations, il n’est ni modifiable ni réformable. Sa destruction est devenue aujourd’hui un préalable à tout progrès: pour tous les citoyens qu’ils soient français ou qu’ils soient Bretons, ce crime est devenu le premier des devoirs. Notre ennemi à tous aujourd’hui, comme a pu le dire Denis de Rougemont dans une formule frappante(II) est cet État que « Debré défend comme Duclos et sur lequel Sartre est muet ».
Le seul gage de sincérité et la seule garantie d’efficacité que pourraient nous donner les partis politiques hexagonaux, et notamment ceux qui sont aujourd’hui dans l’opposition, serait donc de changer eux, aussi, le cadre de leur combat. Ils sont de nos jours à l’image même de l’état, aux structures aussi centralisées que les siennes. Qu’ils commencent donc d’abord par se transformer et par créer des partis autonomes dans chacune de nos nations et de nos régions, partis unis et fédérés, mais non subordonnés, aux partis dits nationaux, et, qu’ils se fédèrent en même temps sur le plan européen. Tant qu’ils ne l’auront pas fait et qu’ils n’auront pas brisé le monolithisme des partis hexagonaux, ils seront impuissants à rendre nos nations à leurs hommes et par voie de conséquence l’État à ses citoyens. Ils sacrifieront toujours nos nations et nos régions à l’État. Ils feront la politique abstraite de l’ensemble et non pas la politique concrète de la base: leurs décisions seront prises par leur direction centralisée or non par leurs section ou fédérations régionales.
La chose est encore plus fatale en France où la tradition centralisatrice affecte tous les rouages de la société, qu’elle ne l’est en Grande Bretagne où les droits individuels et collectifs ont toujours été beaucoup mieux respectés. Ceux de nos bretons sincères, ceux qui sont les plus près de nous, qui militent dans les partis hexagonaux de gauche et cherchent à introduire dans leurs programmes les notions de libertés régionales, feront bien à cet égard de méditer la leçon que nous donne l’évolution du parti travailliste britannique. Après que le parti libéral, arrivé au pouvoir, eut trahi les aspirations à l’autonomie galloise des nombreux patriotes gallois qui avaient milité dans son sein, le parti travailliste britannique, dès le début du 19e siècle, inscrivit l’autonomie du Pays de Galles, de l’Écosse et de l’Irlande à son programme (III). Il conquit peu à peu sur les libéraux tous les sièges parlementaires du Pays de Galles. Il réaffirma cette politique en 1924 et en 1929, années où se formèrent ses premiers gouvernements. Après sa victoire écrasante de 1945, il proclama à nouveau que la liberté de la nation Galloise était liée à l’établissement d’un parlement gallois contrôlant sa vie économique et politique. Mais, bien qu’au pouvoir, il ne réalisa ce programme ni au cours de la législature qui suivit 1945 ni au cours de celle qui suivit 1964. Bien que la grande majorité des sièges du Pays de Galles lui restèrent sans interruption fidèlement acquis. En fait, la politique de l’autonomie Galloise avait été abandonnée dès 1931 par la direction centrale du Parti, après un échec électoral subi dans l’ensemble du Royaume Uni. Les intérêts du Pays de Galles furent ainsi délibérément sacrifiés à ce que la direction centrale pensait être l’intérêt de ce parti dans l’ensemble de la Grande Bretagne, en vue de la conquête du pouvoir. Comment peut-on croire un instant que le parti socialiste Français qui s’est bien gardé d’inscrire l’autonomie bretonne à son programme, sans parler du parti communiste qui lui a déclaré son hostilité, ferait mieux que son homologue britannique ? Comment ne pas se souvenir par exemple que dans les années 30, le parti communiste français soutenait l’autonomisme alsacien, et qu’il n’a rien eu de plus pressé que d’oublier depuis qu’il est devenu tricolore, et, que tout récemment les fédérations socialistes de la Guadeloupe et de la Martinique , aliénées par la traditionnelle idéologie centralisatrice de la SFIO ont fait nettement affaiblir dans le programme commun les dispositions relatives à la libération des Antilles? Qui d’ailleurs peut se leurrer sur la valeur de simples engagements électoraux aussi facilement oubliés qu’ils ont été facilement pris, engagements que ceux qui les prennent n’ont de surcroît aucun moyen de faire respecter !
Par la logique même de leur structuration dans le cadre de l’État centralisé, dirigé par une bureaucratie elle-même centralisée, aucun des partis politiques français hexagonaux ne peut envisager de mesure réelle de partage du pouvoir. N’importe quelle mesure de ce genre, qui ne serait pas un simple trompe l’œil, ou une simple caricature comme la réforme régionale « pompidolienne », créerait automatiquement des forces centrifuges aussi bien dans l’ordre politique que dans l’ordre administratif. Les forces ne peuvent manquer de détruire, en même tempe qu’elles détruiront la structure centralisée et l’ « unicité » de l’État, le système des partis politiques hexagonaux tel qu’il est aujourd’hui construit. Il est évident que Marchais et Mitterrand tiennent autant à conserver ce système que Lecanuet, Debré ou Giscard. Sur ce point, tous les partis politiques hexagonaux sont également conservateurs et également d’accord. Nous ne pouvons d’aucun d’eux attendre le salut. Tant tout le moins que les uns et les autres n’auront pas accepté eux aussi de se « régionaliser” et de se diviser en partis régionaux autonomes. C’est là le seul gage de sincérité qu’ils pourraient nous donner. Le militant breton d’extrême gauche Guy Caro s’est bien aperçu de ce phénomène lorsqu’en donnant sa démission du P.S.U. à la fin de 1973, il écrit « Vu les enseignements tirés avec évidence de mon expérience militante dans le P.S.U., c’est qu’il existe à l’intérieur de toute organisation hexagonale française, y compris dans les partis politiques de gauche et d’extrême gauche et à des degrés divers, un certain colonialisme institutionnel ou encore un certain centralisme bureaucratique parisien”.
Aucun mouvement breton, aucun mouvement de libération nationale et sociale, au sein de l’hexagone français ne peut accepter d’union stratégique avec une formation hexagonale quelle qu’elle soit, toutes demeurent centralistes dans leur organisation. Accepter d’elles une directive commune serait accepté notre disparition. Il est impossible à une lutte de libération de faire dépendre sous quelque prétexte que ce soit, et pour quelque raison que ce soit son organisation, sa stratégie, sa tactique de l’évolution politique, économique et sociale de l’État dominant, quel que soit cet État, et quel que soit la couleur du régime qui le domine, ou de celui qu’on veut y instaurer.L’exemple de la Révolution russe dans l’évolution de ses rapports avec les nationalités, montre que les révolutionnaires des minorités nationales n’ont pas plus à la technocratie. Soutenir quelconques partis de droite ou de gauche, organisés dans le cadre de l’État centraliste, est une politique non seulement inefficace mais encore stérile et suicidaire pour les hommes de nos nations, tant que ces derniers n’aurons pas plus à attendre d’un prolétariat au pouvoir dans le cadre d’un ancien État centralisé que d’une bourgeoisie, ou d’une technocratie. Soutenir de quelconques partis de droite ou de gauche organisés dans le cadre de l’État centraliste est une politique non seulement inefficace mais encore stérile et suicidaire pour les hommes de nos nations,tant que ces derniers n’aurons pas fait admettre d’abord leurs revendications dans le concret. Ils doivent donc résolument refuser de s’y joindre et de les soutenir, même par leur votes tant que ces partis n’auront pas reconnu la spécificité de leur combat, ce qu’ils ne peuvent faire qu’en s’organisant eux mêmes dans le cadre spécifique de la Région par la création de partis autonomes distincts du parti hexagonal.
(I)Y. Olier – Avenir de la Bretagne Nov 1971
(II) Denis de Rougemont : Lettre ouverte aux Européens
(lII) Gwynfor Evans : Wales can win (Devis, éditeur)
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Neuvième texte de la sélection du manuscrit de Yann Fouéré non publié de 1972:
« Lettre Ouverte aux Bretons et aux Français »
On peut certes nous faire ressortir que la reconnaissance du fait régional par la plupart des partis hexagonaux ne peut que nous acheminer vers la solution de nos problèmes. A cela il est facile de répondre qu’il y a longtemps que ce problème agite nos milieux politiques et qu’il n’a pas encore été valablement résolu. Il a formé à toutes les époques et notamment depuis le début de la IIIe République 1’un des tremplins de toutes les oppositions. Il est de surcroît complètement dépassé. Ce n’est plus de décentralisation qu’il s’agit, mais de rendre le pouvoir à ceux à qui on l’a volé, aux citoyens, à nos régions, à nos nations. Ce n’est plus de réforme qu’il s’agit, mais de « révolution » au sens propre du terme, plus « d’aménagement” administratif mais de bouleversement complet de structures politiques, économiques, administratives et sociales sclérosées. Pas plus que la droite française, la gauche française n’est prête à le concevoir, encore moins à le réaliser. Cette dernière le voudrait-elle, comme sa cure d’opposition voudrait nous le faire croire, qu’elle serait impuissante à mettre son programme en pratique; tant que l’État français sera ce qu’il est, tant qu’il existera sans les citoyens, tant qu’il se passera d’eux pour gouverner, tant qu’il continuera de confisquer la et les nations, il n’est ni modifiable ni réformable. Sa destruction est devenue aujourd’hui un préalable à tout progrès: pour tous les citoyens qu’ils soient français ou qu’ils soient Bretons, ce crime est devenu le premier des devoirs. Notre ennemi à tous aujourd’hui, comme a pu le dire Denis de Rougemont dans une formule frappante(I) est cet État que « Debré défend comme Duclos et sur lequel Sartre est muet. »
Le seul gage de sincérité et la seule garantie d’efficacité pourraient nous donner les partis politiques hexagonaux, et notamment ceux qui sont aujourd’hui dans l’opposition, serait donc de changer eux, aussi, le cadre de leur combat. Ils sont de nos jours à l’image même de l’état, aux structuras aussi centralisées que les siennes. Qu’ils commencent donc d’abord par se transformer et par créer des partis autonomes dans chacune de nos nations et de nos régions, partis unis et fédérés, mais non subordonnés, aux partis dits nationaux, et, qu’ils se fédèrent en même temps sur le plan européen. Tant qu’ils ne l’auront pas fait et qu’ils n’auront pas brisé le monolithisme des partis hexagonaux, ils seront impuissants à rendre nos nations à leurs hommes et par voie de conséquence l’État à ses citoyens. Ils sacrifieront toujours nos nations et nos régions à l’État. Ils feront la politique abstraite de l’ensemble et non pas la politique concrète de la base: leurs décisions seront prises par leur direction centralisée or non par leurs section ou fédérations régionales.
La chose est encore plus fatale en France où la tradition centralisatrice affecte tous les rouages de la société, qu’elle ne l’est en Grande Bretagne où les droits individuels et collectifs ont toujours été beaucoup mieux respectés. Ceux de nos bretons sincères, ceux qui sont les plus près des nous, et qui militent dans les partis hexagonaux de gauche et cherchent à introduire dans leurs programmes les notions de libertés régionales, feront bien à cet égard de méditer la leçon que nous donne l’évolution du parti travailliste britannique. Après que le parti libéral, arrivé au pouvoir eut trahi les aspirations à l’autonomie galloise des nombreux patriotes gallois qui avaient milité dans son sein. Le parti travailliste britannique, dès le début du 19e siècle, inscrivit l’autonomie du Pays de Galles, de l’Écosse et de l’Irlande à son programme (II). Il conquit peu à peu sur les libéraux tous les sièges parlementaires du Pays de Galles. IL réaffirma cette politique en 1924 et en 1929, années où se formèrent ses premiers gouvernements. Après sa victoire écrasante de 1945, il proclama à nouveau que la liberté de la nation Galloise était liée à l’établissement d’un parlement gallois contrôlant sa vie économique et politique. Mais, bien qu’au pouvoir, il ne réalisa ce programme ni au cours de la législature qui suivit 1945 ni au cours de celle qui suivit 1964. Bien que la grande majorité des sièges du Pays de Galles lui restèrent sans interruption fidèlement acquis. En fait, la politique de l’autonomie Galloise avait été abandonnée dès 1931 par la direction centrale du Parti, après un échec électoral subi dans l’ensemble du Royaume Uni. Les intérêts du Pays de Galles furent ainsi délibérément sacrifiés à ce que la direction centrale pensait être l’intérêt de ce parti dans l’ensemble de la Grande Bretagne, en vue de la conquête du pouvoir. Comment peut-on croire un instant que le parti socialiste Français qui s’est bien gardé d’inscrire l’autonomie bretonne à son programme, sans parler du parti communiste qui lui a déclaré son hostilité, ferait mieux que son homologue britannique ? Comment ne pas se souvenir par exemple que dans les années 30, le parti communiste français soutenait l’autonomisme alsacien, ce qu’il n’a rien eu de plus pressé que d’oublier depuis qu’il est devenu tricolore, et, que, tout récemment les fédérations régionales socialistes de la Guadeloupe et de la Martinique aliénées par la traditionnelle idéologie centralisatrice de la SFIO ont fait nettement affaiblir dans le programme commun les dispositions relatives à la libération des Antilles? Qui d’ailleurs peut se leurrer sur la valeur de simples engagements électoraux aussi facilement oubliés qu’ils ont été facilement pris, engagements que ceux qui les prennent n’ont de surcroît aucun moyen de faire respecter par la logique même de leur structuration dans le cadre de l’État centralisé, dirigé par une bureaucratie elle-même centralisée, aucun des partis politiques français hexagonaux ne peut envisager de mesure réelle de partage du pouvoir. N’importe quelle mesure de ce genre, qui ne serait pas un simple trompe l’œil, ou une simple caricature comme la réforme régionale « pompidolienne« , créerait automatiquement des forces centrifuges aussi bien dans l’ordre politique que dans l’ordre administratif. Les forces ne peuvent manquer de détruire, en même tempe qu’elles détruiront la structure centralisée et l’ « unicité » de l’État, le système des partis politiques hexagonaux tel qu’il est aujourd’hui construit. Il est évident que Marchais et Mitterrand tiennent autant à conserver ce système que Lecanuet, Debré ou Giscard. Sur ce point, tous les partis politiques hexagonaux sont également conservateurs et également d’accord. Nous ne pouvons d’aucun d’eux attendre le salut. Tant tout le moins que les uns et les autres n’auront pas accepté eux aussi de se « régionaliser” et de se diviser en partis régionaux autonomes. C’est là le seul gage de sincérité qu’ils pourraient nous donner. Le militant breton d’extrême gauche Guy Caro s’est bien aperçu de ce phénomène lorsqu’en donnant sa démission du P.S.U. à la fin de 1973, il écrit « Vu les enseignements tirés avec évidence de mon expérience militante dans le P.S.U., c’est qu’il existe à l’intérieur de toute organisation hexagonale française, y compris dans les partis politiques de gauche et d’extrême gauche et à des degrés divers, un certain colonialisme institutionnel ou encore un certain centralisme bureaucratique parisien”.
Aucun mouvement breton, aucun mouvement de libération nationale et sociale, au sein de l’hexagone français ne peut accepter d’union stratégique avec une formation hexagonale quelle qu’elle soit, toutes demeurent centralistes dans leur organisation. Accepter d’elles une directive commune serait accepté notre disparition. Il est impossible à une lutte de libération de faire dépendre sous quelque prétexte que ce soit, et pour quelque raison que ce soit son organisation, sa stratégie, sa tactique de l’évolution politique, économique et sociale de pas plus à attendre d’un prolétariat au pouvoir dans le cadre d’un ancien État centralisé que d’une bourgeoisie ou d’une technocratie. Soutenir de quelconques partis de droite ou de gauche organisés dans le cadre de l’État centraliste est une politique non seulement inefficace mais encore stérile et suicidaire pour les hommes de nos nations, tant que ces derniers n’y auront pas fait admettre d’abord leurs revendications dans le concret. Ils doivent donc résolument refuser de s’y joindre et de les soutenir, même par leur votes tant que ces partis n’auront pas reconnu la spécificité de leur combat, ce qu’ils ne peuvent faire qu’en s’organisant eux mêmes dans le cadre spécifique de la Région par la création de partis autonomes distincts du parti hexagonal
(I) Denis de Rougememont : « Lettre ouverte aux Européen »
(II) Gwynfor Evans « Wales can win » C.Davis, éditeur
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Dixième texte de la sélection du manuscrit de Yann Fourré non publié de 1972 :
« Lettre Ouverte aux Bretons et aux Français »
Le phénomène du colonialisme institutionnel que dénonce Guy Caro n’affecte d’ailleurs pas que les partis politiques, il affecte aussi les syndicats de toute obédience, ouvriers et paysans, qui ont tous aussi épousé les structures centralisées de l’État Français. Soumis aux directives de leurs états majors parisiens qui ne veulent pas admettre qu’il existe un problème spécial à la Bretagne et qui refusent donc de considérer que le cas et la cause de leurs commettants bretons sont distincts et différents du cas et de la Cause des autres, ils ne peuvent que trahir les intérêts des premiers. En refusant à la Bretagne et au peuple breton, et à d‘autres, le droit d’exister en tant que tels, les classes populaires françaises, par l’intermédiaire de leurs syndicats organisés autant que de leurs partis politiques, soutiennent un système de domination exercé à notre détriment, grâce aux mécanismes d’État par les classes bourgeoises et technocratiques françaises, qu’elles ont trouvé profitable en réservent leurs critiques au seul système capitaliste libéral et en refusant de condamner le système de dépendance dans lequel est maintenue l’économie, la culture et la société bretonnes par rapport à l’économie, à la culture et à la société française, les classes populaires se font objectivement les complices de cette entreprise de domination, d’assimilation et d’exploitation. Elles sont à cet égard aussi coupables que les classes qui dirigent l’État. Pour nous un « hexagone » de gauche ne vaut pas mieux qu’un « hexagone “de droite. De même que la démocratie n’est qu’un mot vide de sens si la majorité ne tient pas compte de l’opinion de la minorité, la solidarité n’est qu’un mot creux si la défense des intérêts de la majorité refuse de tenir compte des intérêts spécifiques et différents de la minorité.
C’est pourtant ainsi que pratiquent la démocratie et la solidarité les partis politiques et les syndicats français organisés dans le cadre centraliste de l’État. A Rennes, à Nantes, Saint-Nazaire ou à Brest, les ouvriers bretons effectuent des grèves de solidarité sur des mots d’ordre venus de Parie, en faveur des travailleurs parisiens ou des intérêts de la classe ouvrière prise dans son ensemble. A-t-il jamais été question de faire grève à Paris en faveur des travailleurs bretons et de leurs revendications spécifiques et particulières, celles qui se posent à eux et à eux seuls ? Lorsqu’ils se sont décidés un jour à manifester à Paris, ils s’y sont trouvés tragiquement seuls derrière leurs drapeaux, devant l’indifférence amusée des classes populaires de la capitale. Il en est de même du syndicalisme paysan français auquel les bretons servent d’infanterie, que l’on utilise sans scrupule et sans compter, exactement comme le faisaient sur les champs de bataille de nos guerres civiles européennes, les généraux en chef des armées françaises. L’agriculture française est celle qui bénéficie le plus en Europe des structures du Marché Commun : mais ce n’est pas l’agriculture bretonne qui en bénéficie, car la Bretagne est un pays aux productions diverses et non massifiées, dont les intérêts sont différents de ceux des régions françaises de monoculture intensive. Pourquoi s‘étonner dans ces conditions, puisque l’organisation du syndicalisme paysan est elle aussi hexagonale, que les dirigeants « nationaux » non seulement refusent de soutenir mais encore désapprouvent, la grève du lait menée par les paysans bretons et pour lesquels il s’agit d’un combat spécifique ; ou que Nicoud se sépare de Jean Hourmaut parce que ce dernier replace d’abord les problèmes des commerçants et des artisans dans le contexte « breton ? Les responsables locaux des organisations syndicales ouvrières et paysannes, ceux des organismes locaux de crédit, sont du fait des structures centralisées auxquelles ils sont soumis, plus soucieux d’être de fidèles exécutants des décisions prises à Paris que d’agir en fonction des besoins réels de la Bretagne et du peuple breton et des problèmes spécifiques qu’ils posent. On doit être reconnaissants à ce sujet aux accusés, aux témoins et aux avocats qui ont participé au procès du F.L.B.en Octobre 1972, d’avoir souligné la spécificité breton de tous nos problèmes. Cette spécificité fait qu’aucun ou presque de ces problèmes ne peut se résoudre si on s’obstine à les considérer seulement d’en haut et du seul point de vue de l’État centralisé ou de celui des organisations politiques et syndicales qui se sont organisées dans son cadre et pour mieux les servir (l)
Ici encore, il nous faut revenir de l’abstrait au concret, du général au particulier, c’est la raison pour laquelle des partis politiques “régionaux » ou « nationaux » autonomes, indépendants d’état major hexagonaux, ne prenant de directives que d’eux-mêmes, pour tout ce qui concerne nos problèmes particuliers, sont seuls capables de conquérir les libertés et les institutions bretonnes, l’autonomie interne en un mot, que nous savons tous indispensable à la survie et au développement de notre peuple et de notre nation.
Le problème pour les Bretons apparaît donc avant tout d’organiser les forces vives de la Bretagne sur le plan géographique, territorial, humain mais est le notre, de convaincre les partis politiques, les syndicats, les organisations professionnelles et sociales, les comités de défense et d’expansion, que leur regroupement est nécessaire sur le plan de nos cinq départements: qu’il importe qu’ils se dégagent de leurs obédiences vis à vis de leurs centrales parisiennes s’ils veulent voir le moindrement avancer la plus modeste de leur demandes. Si, au demeurant, une action politique régionale pure n’est pas encore payante sur le strict plan électoral, elle le deviendra automatiquement du jour même où les électeurs seront appelés à élire démocratiquement l’assemblée “régionale” digne de ce nom, dont il nous faut arracher la création au pouvoir centraliste. Elle ne sera digne de ce nom que si elle exerce les pouvoirs politiques, économiques, sociaux, culturels et financiers les plus étendus et que si ses membres élus par le peuple breton pour défendre et gérer les intérêts particuliers de la collectivité bretonne, ne sont pas les mêmes que ceux qu’il élit pour siéger à Paris. Ceux-là ne représentent qu’une abstraction : celle de l’Etat-nation France pris dans son ensemble. Ils sont élus par les électeurs bretons en tant que citoyens français, non en tant que Bretons. Ils ne servent qu’à donner bonne conscience à l’État qui les utilise pour mieux tromper les citoyens sur les réalités de son pouvoir.
Ici encore malgré les apparences, le combat des citoyens français danse ensemble pour devenir à nouveau maîtres de leur État et celui des hommes de nos nations se rencontrent et s’épaulent. Diviser et morceler l’État, redistribuer son pouvoir en les quinze ou vingt « provinces-indépendantes » dont parlait Proudhon, c’est en réalité remettre le pouvoir aux mains des citoyens. Il ne faut pas compter, pour accomplir cette tâche sur les « régions” indifférenciées, intégrées, absorbées par l’État, où ne subsiste plus la moindre conscience d’une identité particulière. Pour le faire, on ne peut compter que sur nos nations où cette conscience subsiste encore à un tel point que plusieurs siècles de centralisation n’ont pas réussi à l’effacer. La libération régionale et le pouvoir régional ne sont pour nous soit qu’une étape, soit que le moyen de réaliser, grâce à des institutions Particulières recouvrées, une véritable libération nationale.
Le premier problème à résoudre pour les Bretons est celui de l’existence. Vouloir en même temps travailler à la société idéale équivaudrait à vouloir résoudre tous les problèmes en même temps. C’est le meilleur moyen de n’en résoudre aucun. Chaque peuple, chaque nation à ses problèmes spécifiques et internes, ses contradictions et ses luttes particulières. Pour résoudre ces problèmes internes, il faut d’abord que le peuple et la nation existent de façon autonome, qu’ils aient recouvré leur identité. Une nation menacée par une invasion, un impérialisme, une « occupation » ne peut résoudre ses problèmes tant que son existence n’est pas assurée. Sa « politique » est toute entière conditionnée par cette situation. Il ne peut y avoir en d‘autres termes, pour une nation soumise, de libération sociale sans libération nationale. Il existe une Bretagne et un peuple breton et par conséquent une réalité sociale bretonne: cette réalité sociale ne peut s’exprimer, ni ses problèmes se résoude, sans institutions particulières, sans la liberté politique dont ces institutions ne sont que l’expression. Le groupe (ou le peuple ou la nation) aliéné et dénationalisé porte en lui comme une blessure, le sens de son histoire et de sa culture, la conscience d’en avoir été frustré et d’avoir aussi perdu sa dignité, et la base et la source même de sa protestation politique.
Ce qui distingue les protestations de la Bretagne dans tous les domaines, c’est qu’elles traduisent en fait la réaction d’une conscience nationale. La chose reste vraie même si cette conscience s’ignore chez beaucoup. Nous, Bretons, possédons une élite intellectuelle peu nombreuse, mais dévouée et engagée dans la défense de sa société et de sa nature propre qu’une monstrueuse machine cherche à étouffer. De plus en plus, dans la littérature de langue bretonne, ou de langue française, dans les œuvres de nos chanteurs populaires apparaît, à côté de la note du désespoir que l’on entendait seule autrefois, l’affirmation des valeurs qui ont formé la trame de la résistance à la domination politique et économique d’un système étranger. Notre société refuse d’accepter la destruction qu’on veut lui imposer au nom d’une simple logique économique où d’une tyrannie « bureaucratique ».
La question est de savoir si une petite communauté avec sa langue et ses valeurs de civilisation, son héritage littéraire et intellectuel, sa manière d’être humaine peut, dans notre monde, continuer d’exister. Dans notre coin d’Occident, c’est en réalité une bataille pour l’humanité que nous livrons donc pour vous citoyens français, autant que pour nous Bretons, car vous êtes devenus vous aussi, par rapport à l’Europe et au monde une petite communauté , car vous vous trouvez déjà aujourd’hui, à une échelle supérieure, aux prises avec les mêmes problèmes que nous à notre échelle plus petite. Or, si l’action politique sur la masse des citoyens est nécessaire, elle ne suffit pas à elle seule, pour un changement de pouvoir, pour une transformation profonde de l’État et de la société, la libération nationale et sociale de chaque peuple. Elle doit être complétée par l’action révolutionnaire et au besoin violente d’une avant garde politique. Nous seuls, hommes de nos nations vraies, de nos nations sans État, pouvons assumer ce rôle dans la société européenne d’aujourd’hui.
(i) F.L.B. 72/ Procès de la Bretagne – éditions Klenn – Saint-Brieuc
Ce texte constitue le dernier de notre sélection de ce manuscrit qui, nous vous le rappelons n’a jamais été publié.
Nous vous invitons cependant à découvrir ou redécouvrir l’ouvrage de Yann Fouéré : « Europe…Nationalité bretonne….Citoyen français ? ».