LE RETOUR DES « BREIZ ATAO »

Lors du Congrès Celtique de 1953, Yann Fouéré retrouve avec plaisir ses camarades exilés mais surtout des compagnons venus de Bretagne, Ronan Huon notamment, et fait la rencontre de Pierre Lemoine, Per Denez,… Cette réunion informelle permet d’étudier la situation des réfugiés et s’achève sur la volonté exprimée de remettre sur pied un nouveau mouvement politique breton.

 

Votée le 24 juillet 1953, une loi d’amnistie concernant les condamnés à l’indignité nationale ouvre de nouvelles perspectives pour les Bretons exilés. Elle permet la révision des condamnations lors de nouveaux procès. Avec l’avocat Jean-Louis Bertrand, Yann Fouéré entame une procédure de révision de son procès devant le Tribunal militaire de Paris début 1955. L’ancien secrétaire du Comité consultatif retrouve alors Paris, ville qu’il a quitté dix ans plus tôt. Joseph Martray, Budes de Guébriant, Jean Quénette et d’anciens collègues du ministère de l’Intérieur témoignent en sa faveur. L’accusation a, quant à elle, convoqué Victor Le Gorgeu et Marcel Coudurier, qui ne vient pas, certificat médical à l’appui.

 

C’est l’acquittement pur et simple. (Voir la copie du jugement rendu par le tribunal Militaire de Paris, le 3 Juin 1955, dans la rubrique Archives du site, sous Yann Fouéré.) Après avoir été acquitté de la condamnation par contumace aux travaux forcés à perpétuité de 1947, Yann Fouéré demande, devant le Tribunal de Commerce de Morlaix, 5 millions de francs pour la spoliation de ses biens. Il obtient réparation mais le jugement est rejeté en appel à Rennes. Non seulement il ne s’est pas enrichi sous l’Occupation mais il a tout perdu…


 

A l’automne 1955, Yann Fouéré, enfin libéré de sa lourde condamnation, entreprend le retour en Bretagne. Après un nécessaire voyage d’affaires à Paris, il peut entamer un voyage de retrouvailles avec ce qu’il appelle sa « patrie charnelle ». Ce Tro Breizh est certainement une deuxième victoire personnelle, après celle du procès du printemps précédent. A Rennes, il revoit la plupart de ses anciens compagnons de lutte lors de l’assemblée générale de Kendalc’h, alors présidée par Pierre Mocaer. Deux jeunes de la Jeunesse Etudiante Bretonne proposent alors à Yann Fouéré de donner une conférence pensée comme point de départ d’une nouvelle aventure politique. Ce périple breton passe par St-Lunaire où vivent ses parents, Brest, Quimper et Nantes. Il multiplie les contacts avec ceux qui seront les premiers animateurs du futur mouvement politique breton.

 

 

C’est au mois de mai 1956, à Rennes, qu’a lieu la première conférence organisée par la JEB. Ce premier rendez-vous inaugure un cycle de conférences sur la situation de la Bretagne, données à Paris, Quimperlé. Conforté dans son idée de susciter une nouvelle expression politique bretonne, il travaille, avec d’autres militants, un Projet d’Organisation de la Bretagne. La première version reprend les grandes lignes du Projet de statut pour la Bretagne proposé en 1942. Le texte final est mis au point chez Yann Poupinot après avis de Joseph Martray, Pierre Laurent, Yvonig Gicquel, Pierre Lemoine et Jean Kergren (1). Ce POB est vite imprimé et proposé à la signature sous forme de pétition. Ce programme est très modéré : il vise l’obtention «d’une représentation parlementaire régionale, administrant les affaires propres à la Province». Les premiers retours permettent de mettre en place des comités locaux chargés de préparer la naissance du mouvement breton.Forts de leurs plusieurs milliers de signataires, les promoteurs du POB lancent le 11 novembre 1957 à Lorient, le Mouvement pour l’organisation de la Bretagne (MOB) et son journal L’Avenir de la Bretagne. Le nouveau journal prend la suite d’Ar Vro / Jeune Bretagne, fondé par Per Lemoine qui apporte ses abonnés et son fichier. Le MOB entend défendre le développement économique et social de la péninsule, avec un positionnement fédéraliste. Le MOB va permettre à la revendication bretonne de refaire surface dans la vie publique. Mais, très prudemment, le MOB se situe dans le cadre du travail du CELIB (2): il appelle des mesures politiques et administratives sans lesquelles le travail du Comité serait vain. Ses concepteurs ont élagué tout ce qui risquerait de le condamner dès sa naissance : aussi, ce projet régionaliste ne laisse que peu de place à l’autonomie.

(1) Sur le POB, le MOB, lire « Le retour du mouvement breton après 1945 », Lionel Henry, Yoran Embanner, 2003.
(2) Le Comité d’Etudes et de Liaison des Intérêts Bretons, créé en 1950, est un mouement d’élus pour la défense des intérêts économiques de la Bretagne.

3.jpg 1966 Yann Fouéré au centre: Important débat européen organisé à Saint Brieuc, sous l’égide de ‘ l’Avenir de la Bretagne’, sur l’Europe aux Cent Drapeaux ou Europe des Régions, avec la participation de Guy Héraud, M.Philipponeau, Paul Sérant, Yann Brékilien et Alain Guel réaffirmant cette position.


Directeur du journal L’Avenir de la Bretagne, Yann Fouéré imprime une marque durable sur le mouvement breton. A côté d’une Bretagne libre de son destin, il défend également l’idée d’une Europe démocratique et fédérale, respectueuse de ses minorités nationales. De la même manière, son livre L’Europe aux Cent Drapeaux préconise l’organisation de l’Europe sur une base fédérale avec des régions-nations majeures. Yann Fouéré a profondément inspiré la pensée fédéraliste européenne.

 

0012.jpg En 1967 il est nommé Chevalier de Grâce, de l’Ordre de Sant-Jean de Jérusalem, Chevaliers Hospitaliers de Malte.

A la fin des années 1960, la Bretagne est touchée par les attentats du FLB. Nombreux sont les indices qui montrent une filiation entre le FLB-ARB (1) et le mouvement politique breton traditionnel. On devine chez des personnalités comme Yann Fouéré une volonté, à peine cachée, d’attiser les revendications bretonnes en recourant à l’action clandestine.
Aussi, Yann Fouéré est régulièrement suspecté de participer aux activités du mouvement clandestin FLB. Il est emprisonné d’octobre 1975 à février 1976 dans le cadre d’une vaste opération policière contre le FLB. En 1977, Yann Fouéré publie le livre En prison pour le FLB qui relate les conditions de son arrestation et de sa détention de plus de trois mois à la prison de La Santé. Le vieux leader nationaliste a bien appartenu au Kuzul Meur du premier FLB (1966-1969) mais n’a plus de responsabilités après l’amnistie de 1969 et l’apparition de nouveaux FLB.

(1) Sur le Front de Libération de la Bretagne – Armée Républicaine / Révolutionnaire Bretonne, lire FLB-ARB, L’histoire (1966-2005), de Lionel Henry et Annick Lagadec, Yoran Embanner, 2006.

Pourtant, en 1975, les policiers l’arrêtent à l’aéroport de Saint-Brieuc et découvrent, à son domicile briochin, des détonateurs et divers documents se rapportant au mouvement clandestin. Pour sa défense, Yann Fouéré précise que les détonateurs sont utilisés régulièrement pour son activité de mareyeur en Irlande, et que les documents étaient depuis longtemps rendus publics. L’arrestation de Yann Fouéré peut surprendre. Y a-t-il de réelles suspicions à son égard ? S’agit-il d’envoyer un signe fort à l’Emsav et aux candidats à la clandestinité ? Ou encore d’une tentative grossière de jeter le discrédit sur le mouvement clandestin en agitant maladroitement le spectre d’une supposée collaboration ? Yann Fouéré, malgré de longues semaines de détention, bénéficie d’un non lieu dans cette affaire.Le rôle de Yann Fouéré est avéré dans le rapprochement entre militants du FLB : il permet à quelques militants isolés de Rennes de rejoindre le reste du réseau en 1977. Ainsi, une première rencontre entre combattants a pu avoir lieu dans la campagne d’Evran (Côtes d’Armor) à proximité de la ferme familiale des Fouéré, malgré une surveillance policière permanente. En 1978, le juge d’instruction de la Cour de Sûreté de l’Etat lance un mandat d’arrêt contre le militant nationaliste pour « association de malfaiteurs, infraction en relation avec une entreprise consistant ou tendant à substituer une autorité illégale à celle de l’Etat ». Soupçonné d’être l’inspirateur de commandos du FLB, Yann Fouéré est alors hors de portée, sur ses terres d’Irlande. L’année suivante, après l’attentat remarqué du FLB contre la villa du commissaire Le Taillanter, chef du SRPJ, c’est Yann Fouéré qui permet aux jeunes auteurs de s’établir sur le sol irlandais.

trial.jpg 1975 Campagne faite par sa famille et amis en Irlande pour la Liberation de Yann Fouéré.


Après la disparition du MOB, le mensuel de Yann Fouéré accompagne les combats du Front Breton (1968), de Sav Breizh (1969) et reprend force avec la création du parti SAV – Strollad Ar Vro, un héritier direct du MOB qui aurait tenu compte de l’évolution socio-économique de la Bretagne.

Avril1975: Yann Fouéré, au centre, à l’occasion du troisième Congrès National de Strollad Ar Vro, paru dans le no.4 du journal ‘Combat Breton’.

Avec l’échec électoral de Strollad ar Vro, aux législatives de 1973, le journal enregistre une forte érosion du nombre de ses lecteurs et collaborateurs. Plus encore, le journal n’est pas oublié dans la vague de répression contre le FLB… Menaces d’interdiction, vols répétés, incendies criminels des locaux auront raison de la ténacité des militants assurant la sortie mensuelle de L’Avenir.

papa-1.jpg1982 Yann Fouéré, Boris Pabor (écrivain Slovéne), Yvo Peters (écrivain Flamand), a la conférence de L’Europe des régions, Saint Vincent (Vallée d’Aoste, Italie).


Plusieurs tentatives de recréer l’expérience du MOB échouent et il faut attendre l’amnistie de 1981 pour voir arriver les militants qui vont donner vie au Parti pour l’Organisation d’une Bretagne Libre (POBL, qui signifie également « peuple » en breton). Réapparue dès janvier 1980, la revue L’Avenir de la Bretagne précède de plusieurs mois la formation du Parti, créée début 1982. Le nouveau mouvement, qui a d’abord utilisé l’appellation SAV, reprend l’idée fédéraliste et nationaliste bretonne défendue par Yann Fouéré mais la place désormais dans une optique d’économie libérale et refuse le clivage droite- gauche pour lui préférer le terrain de la seule « libération nationale ». POBL s’engage alors à favoriser toute expérience en faveur de l’élection d’une assemblée régionale au suffrage universel direct ou de la réunification de la Bretagne. Formation de type autonomiste, nationaliste et profondément fédéraliste européenne, POBL reprend naturellement les théories de « L’Europe aux 100 drapeaux » de Yann Fouéré, président honoraire du parti. Le parti connaît, au début des années 90, une période relativement faste avec plusieurs centaines de militants encartés (deux à trois cents) répartis sur sept fédérations. POBL participe d’ailleurs aux élections régionales de 1986 (seul et uniquement en Ille-et-Vilaine) et de 1992 (listes d’union du mouvement breton sur les 5 départements). Mais, du fait de son positionnement politique ou de l’âge de ses militants, il n’arrive pas à créer une force dynamique : ses participations et scores électoraux restent faibles, son message n’est que peu reçu par les Bretons… En 2005, après un quart de siècle d’existence, POBL entre en sommeil, concentrant son activité sur la parution de L’Avenir. C’est encore dans son mensuel que Yann Fouéré défend son argumentation en faveur d’une Bretagne émancipée dans le cadre d’un fédéralisme des régions d’Europe.

006.jpg 2006 Yvo Peeters, Vice President de l’Union national des Ecrivains Flamand (VVNA), présente la médaille de Membres d’honneur de l’Union à Yann Fouéré – L’Union ne permet que 8 membres d’honneur et Yann prend la suite de Guy Héraud qui est décédé.

En 1999, Yann Fouéré créé l’I.D.B.E., Institut de Documentations Bretonne et Européenne, établissant ainsi une structure pour la conservation d’archives concernant l’histoire de la Bretagne, les mettant à la disposition d’historiens et de chercheurs, et fournissant une base pour La Fondation Yann Fouéré.

Décédés le 20 Octobre 2011 à l’âge de 101 ans, avec ces quelques mots:-

EN GUISE D’ADIEU

C’est mon corps seulement que vous mettez en terre

Car je vous laisserai l’écho de mes combats,

Que l’exil, la prison, la crainte ni la guerre

Qui ne m’ont arrêté, ne vous arrêtent pas!

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Pour nous aider a combatre le spam merci de compléter le calcul suivant * Le temps imparti est dépassé. Merci de recharger le CAPTCHA.