ROBERT AUDIC

ROBERT AUDIC

Le premier étage d’un café place St Sulpice…C’est là que Mariek le Toiser, Jakez Martin et moi, à la recherche des cours de breton du Cercle Celtique de Paris, découvrîmes pour la première fois Robert Audic.  Ker Vreiz n’existait pas encore, 1e tonnerre du monument de Rennes venait à peine de s’éteindre, le Cercle des Étudiants Bretons de Paris était en gestation….

Pour nous, qui avions tout juste dépassé  nos vingt ans, Robert Audic, de dix ans notre aîné, professeur de Breton, était déjà un personnage. Maigre et élancé, d’une blondeur pale tirant sur le roux, toujours soigné dans sa mise, méticuleux dans sa tenue et courtois dans ses manières, d’une politesse un peu précieuse, s’expri­mant en Français comme en Breton avec une rare pureté grammaticale et une incomparable correction dans le choix des termes, faisant preuve d’une extraordinaire érudition sur presque tous les sujets, Robert Audic cachait sous un abord un peu froid une vie intérieure intense, beaucoup de cœur, une patience inépuisable et une grande bonté.

A mesure que s’égrenaient les semaines du cours de breton qu’il animait de sa voix douce, calme, patiente et précise, et que s’élargis­sait le répertoire des chansons en langue bretonne qu’il nous faisait reprendre en cœur pour le terminer, nous découvrîmes  peu à peu les profondes qualités humaines de notre professeur et son dévouement inlassable et désintéressé à la cause de notre langue et de notre pays.  Les mois passèrent, le Cercle des Étudiants Bretons sortit de ses limbes, rayonna, s’agrandit: l’idée d’un plébiscite des Conseils municipaux de Bretagne en faveur de l’enseignement du breton prit peu à peu corps parmi nous. Mais il nous fallait une adresse pour notre siège social, un répondant, quelqu’un de plus âgé, de plus posé peut-être, qui puisse, par ses encouragements, ses conseils et sa présence, nous donnait à la fois confiance en nous-mêmes et se portait garant du sérieux de notre entreprise.

Le Docteur Le Cam, dont l’initiative en faveur de l’enseignement du Breton avait reçu l’appui du Conseil Municipal de Guerlesquin, miné par la maladie qui l’avait réduit à l’inaction et à la pauvreté, ne pouvait guère nous aider. C’est à Robert Audic que nous pensâmes, et c’est lui qu’une délégation vint trouver à son domicile, 59 Rue Boisssière. Tout de suite Robert Audic accepta,  le siège social de l’Association serait chez lui. Il assumerait de plus les fonctions de secrétaire général en titre, nous aiderait de son travail, de ses conseils et de ses avis: c’est lui qui nous suggéra, le titre d’Ar Brezoneg er Skol, et quand nous sortîmes de chez lui, Ar Brezoneg er Skol, Union pour l’enseignement du breton, était fondée.

Bien qu’il fut de santé précaire et de constitution fragile Robert Audic suivit et aida de son mieux Ar Brezoneg er Skol pendant les dix années qui allaient suivre. S’il ne fut pas de toutes nos manifestations et de tous nos Congrès, il resta pour nous 1e conseiller précieux et écouté, le militant qui n’hésitait pas à l’occasion à coller des enveloppes ou des timbres lors de l’envoi de nos innombrables appels et circulaires. Le succès de notre campagne fut pour lui un grand réconfort et une grande satisfaction morale, d’autant plus que rentré en Bretagne dans son vannetais d’origine, deux ans avant la guerre, il allait se trouver aux prises avec de grandes difficultés matérielles. Son extrême pudeur de sentiment se gardait bien de nous les laisser soupçonner. Robert Audic souffrait, mais ne se plaignait jamais, trouvant dans sa foi profonde la force et la volonté de supporter bien des épreuves pénibles.

Ce fut une joie pour moi que de pouvoir, au début de I941, l’appeler à venir à Rennes travailler à mes côtés, lors de la fondation de « La Bretagne  » qui allait me permettre, pour la première fois d’appointer un secrétaire à plein temps pour Ar Brezoneg er Skol.

Il rendit en même temps à notre journal à ses débuts des services précieux. Son érudition était immense; son savoir encyclopédique; remplaçait pour beaucoup d’entre nous les ouvrages de référence que nous ne possédions pas encore.

La multiplication des cours de Breton cependant, l’édition d’ouvrages scolaires, les concours entre les écoles, allaient peu à peu rendre la tâche trop lourde pour ses forces, sa santé fragile le força à se retirer vers la fin de 1942.  Du moins avait-il assisté à la réalisation concrète et pratique d’une partie du programme ambitieux que nous avions esquissé ensemble en 1934.  En 1943 il fut nommé professeur au Collège Auguste Brizeux, créé par la Préfecture Régionale de Rennes pour donner une formation bretonne aux instituteurs de Bretagne. Il y fut chargé des cours de langue bretonne et revint ainsi, de manière officielle cette fois, à sa première vocation.

La persécution de I945, l’interdiction d’Ar Brezoneg er Skol, sa dissolution par voie d’autorité et la saisie de ses biens et de son matériel scolaire, les épreuves infligées à nombre de ses amis, causèrent à Robert Audic bien des souffrances morales, et assombrirent pour lui les années qui allaient suivre. Elles marquèrent aussi pour lui de nouvelles difficultés de vie jusqu’au jour où il fut nommé au lycée de Douarnenez. Les événements nous avaient, et pour cause, séparés. Dix ans d’exil s’écoulèrent avant que je ne le revis, non sans qu’il m’eut souvent écrit dans l’intervalle, surtout pour me signaler les difficultés dans lesquelles se débattaient l’un ou 1’autre de nos amis communs qu’il importait d’aider, car Robert Audic pensait aux autres, souvent avant de penser à lui.

Les difficultés matérielles et morales dans lesquelles il continua longtemps de se débattre, une santé de plus en plus déficiente, 1’avaient empêché, malgré un mariage tardif et une paternité, de jouir vers la fin de sa vie de la plénitude et de l’équilibre auxquels il aspirait.  Il était de ceux que la vie ne pouvait que blesser et décevoir dans un siècle de plus en plus impitoyable aux modestes, aux bons et aux sensibles. Du moins puis-je lui apporter, il y a quelques mois, le réconfort de voir Ar Brezoneg er Skol rétabli dans ses droits à la suite de l’annulation en Conseil d’État de l’injuste arrêté de dissolution qui l’avait frappée. Son nom restera ainsi associé à son œuvre et l’histoire lui en tiendra compte..

Il laissera parmi nous le souvenir d’un ami loyal et sincère, d’une délicatesse de sentiment inégalée et d’un désintéressement absolu, d’un homme riche de ces valeurs spirituelles qu’il convient de placer au dessus de tous les achèvements personnels.

Yann Fouéré

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