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1932 Yann Fouéré au Service Militaire a Compiègne, de profil au centre.
Réformé quelques années avant le conflit, Yann Fouéré n’est pas mobilisable et profite alors de sa présence au ministère de l’Intérieur pour aider à l’exil des nationalistes basques pourchassés par les troupes franquistes, alors victorieuses au sud des Pyrénées. Le militant devient ainsi le permanent de la Ligue des Amis des Basques, cherchant à faciliter la vie des exilés sur le sol français. Il permet surtout au président basque en exil, Aguirre, de pouvoir circuler librement.
(1) La patrie interdite, Ed. France Empire, 1987 ; réédition Celtics Chadenn, 2001.
Lors de la débâcle, consécutive à l’invasion allemande en mai-juin 1940, le fonctionnaire Fouéré doit alors suivre le gouvernement. Après Royan, les jeunes époux atteignent Pau. Totalement désoeuvré au sein d’un ministère fantôme, Yann Fouéré apprend le retour d’Allemagne des leaders séparatistes Mordrel et Debauvais. Ayant regagné Rennes, ils entendent profiter des difficultés françaises pour arriver à leurs fins.
C’est vers la mi-août que Yann Fouéré, bénéficiant d’un congé maladie et n’en pouvant plus, quitte Pau pour rejoindre la Bretagne. Avec son épouse, il décide de s’installer à Rennes où il retrouve la plupart des personnalités de l’Emsav : Olier Mordrel, Xavier de Langlais, Roparz Hemon,… En Bretagne, en ce printemps 1940, l’action politique est très vive mais, très vite, les autorités allemandes constatent, à la fois, la facilité de l’occupation du sol français et le – finalement – faible écho des nationalistes dans l’opinion publique. Plus besoin de favoriser les séparatistes bretons et de brimer la France… Les Allemands ne font plus que tolérer les activités bretonnes.
Yann Fouéré entreprend un voyage de reconnaissance : dans le Trégor, où il retrouve ses parents, puis à Brest. Il réfléchit alors à la mise en place d’un mouvement d’inspiration régionale qui, profitant d’une conjoncture inédite, pousserait la France dans la voie du fédéralisme, ou à défaut d’un régionalisme nouveau.
Sa situation de fonctionnaire du ministère de l’Intérieur en congé intéresse alors le préfet du Finistère, M. Georges, qui lui propose d’assumer la fonction de sous-préfet de Morlaix. Plutôt que d’être contraint de rejoindre un poste à Vichy, le militant breton accepte de s’installer, dans les premiers jours d’octobre 1940, à Morlaix. C’est à cette période que René-Yves Creston, affilié au réseau de Résistance du musée de l’Homme, aurait reçu de Yann Fouéré un mémoire pour un projet de décentralisation de la Bretagne destiné aux Forces Libres de de Gaulle à Londres. En parallèle, il multiplie les contacts afin de créer un organe de presse susceptible de porter un courant « provincialiste », dans la ligne droite des projets de renaissance des provinces promis par Pétain. La marge de manoeuvre est étroite car, ni Vichy, ni les autorités allemandes ne toléreront un projet clairement « anti- français ». L’entrevue de Montoire entre Hitler et Pétain, en octobre 1940, a confirmé le changement de politique des Allemands pour la Bretagne.
A l’automne 1940, Yann Fouéré prend contact avec Hervé Budes de Guébriant, président de l’Office central des syndicats agricoles, partisan déclaré du nouvel ordre de Vichy et l’industriel quimpérois Jacques Guillemot. Ancien membre de l’Action Française, Jacques Guillemot approuve l’idée de Révolution Nationale du Maréchal Pétain. Il est partisan d’une autonomie provinciale comme elle avait pu exister dans l’Ancien Régime. De Guébriant assure à Yann Fouéré d’accomplir les démarches nécessaires à Vichy pour autoriser la publication du futur quotidien La Bretagne. Et surtout, les deux hommes entrent dans le capital du futur quotidien (1). D’ailleurs, le 22 janvier 1941, Hervé Budes de Guébriant est nommé, par Vichy, président de la Commission nationale d’organisation de la coopération agricole.
Mais déjà le séjour finistérien du sous-préfet intérimaire prend fin : Yann Fouéré rejoint le ministère de l’Intérieur à Paris à la fin de novembre. C’est à ce moment que Raymond Delaporte (2) lui demande de devenir membre du Kuzul Meur, grand conseil secret, modifié dans sa composition afin de coordonner les actions des différents militants bretons. « placardisé » à Paris, le militant breton fait une demande de mise en disponibilité que ses supérieurs se gardent bien de lui accorder. C’est à ce moment qu’intervient la rupture : Yann Fouéré va vouer sa vie à la cause bretonne.
(1) Georges Cadiou établit une liste des actionnaires ou autres soutiens de La Bretagne : Bahon-Rault de la Chambre de commerce de Rennes, Château, maire de Rennes, Roger Crand, sénateur du Morbihan, Montfort, député-maire de Scaër, Chrétien, maire de Saint-Brieuc, Kergariou, sénateur-maire de Lannion,… cf. bibliographie
(2) Raymond Delaporte, figure modérée du PNB, est propulsé en 1940 chef du parti en remplacement d’Olier Mordrel et Fanch Debauvais.
1942 Marie Madeleine et Yann Fouéré
Il quitte Paris en février 1941 et rejoint son épouse à Rennes. Le journal La Bretagne prend vie dans des bureaux situés près de la Cathédrale. Auparavant, l’ex-sous-préfet a pris contact avec les dirigeants de l’Ouest-Eclair afin de s’entendre plutôt que de se livrer une concurrence jugée néfaste. Yann Fouéré aurait préféré que l’Ouest-Eclair « bretonnise » sa politique rédactionnelle. Un accord est trouvé : La Bretagne sera imprimée par l’Ouest-Eclair, quotidien du matin, mais à la condition d’être un quotidien du soir et que la nouvelle équipe prenne en charge la rédaction des trois hebdomadaires locaux de l’Ouest-Eclair. Le jeudi 20 mars, le premier numéro de La Bretagne sort des presses. Les premiers tracts publicitaires font référence à un « quotidien d’information et de défense des intérêts bretons » et à une « province de Bretagne prospère et heureuse dans une France rénovée ». Yann Fouéré a compris qu’il ne pourrait pas s’opposer frontalement à Vichy : il se fait donc « provincialiste » voire « maréchaliste ». Le directeur du journal joue ainsi avec l’épouvantail séparatiste : « le nationalisme breton est né de l’échec du mouvement breton modéré. Un seul remède : satisfaire les légitimes revendications bretonnes ». Mais, il s’avère que ce petit jeu n’est qu’une simple tactique décidée entre modérés et radicaux de l’Emsav. Hervé Le Boterf n’y voit en tous cas qu’une « mise en scène, prévue d’un commun accord entre Raymond Delaporte et Yann Fouéré pour laisser croire à une pseudo-divergence de tendances qui, en réalité, n’existait pas, entre ces deux partisans résolus d’une réforme de l’administration en Bretagne ».
Après le court passage de Gérald de Baecker, parti rejoindre la Légion des Volontaires Français à Paris, André Rouault assure la rédaction en chef du nouveau quotidien. Cet ancien des Croix de Feu du Colonel de la Roque va vite entrer en conflit avec son directeur. Parmi les contributeurs de La Bretagne, on note les noms de Ronan de Fréminville (alias Jean Merrien), Xavier de Langlais surtout, chargé de l’illustration et d’une rubrique en breton avant de prendre en charge la plupart des chroniques artistiques et culturelles. Yann Fouéré reconnaît que l’équipe de rédaction est un peu disparate. On trouve aussi le frère de Jacques Guillemot, André, et Yves Le Diberder (alias Youenn Didro) qui contribue, aux dires de Yann Fouéré, à faire de La Bretagne un journal « vigoureux et critique à l’égard du pouvoir central et des administrations de Vichy ».
Les conférences de rédaction que préside Yann Fouéré sont d’abord quotidiennes, à Rennes, avant de devenir hebdomadaires lorsque le journal sera imprimé à Morlaix. En effet, à partir d’avril 1942, la rédaction du quotidien breton se confond avec celle de La Dépêche, ancêtre du Télégramme de Brest actuel. A l’automne 1941, la situation économique de La Bretagne devient difficile et le capital de base se réduit comme peau de chagrin. La subvention promise aux périodiques se fait attendre pour le quotidien breton… On s’apprête alors à transformer le quotidien du soir en hebdomadaire. Mais en février 1942, suite aux manoeuvres du préfet Ripert pour obtenir des autorités de la Propagandastaffel la suppression du quotidien La Dépêche, les actions de la société éditrice du quotidien sont confisquées. Elles appartiennent en majorité à Victor Le Gorgeu, sénateur-maire de Brest, ayant refusé de voter les pleins pouvoirs à Pétain, et vite révoqué par Vichy. Son quotidien avait dû, comme bien d’autres, satisfaire les exigences de l’occupant : il imprime, en 1940, des publications en allemand au titre évocateur – Gegen England par exemple – et salue la puissance de la « Nouvelle Europe ». Devant la faillite probable de l’entreprise de Morlaix, son directeur général, Marcel Coudurier, accepte l’entrée dans le capital de son journal, à hauteur de 20 %, des financeurs de La Bretagne, Jacques Guillemot, Yann et Jean Fouéré ainsi que Yves de Cambourg, à un prix bien au-dessus de ceux du marché aux dires de Yann Fouéré. On évite ainsi le licenciement des 120 employés du quotidien de Morlaix – et leur envoi en Allemagne au titre du STO. Dans les premiers jours d’avril 1942, La Bretagne quitte donc l’imprimerie rennaise de l’Ouest-Eclair pour rejoindre celle de La Dépêche à Morlaix. La mutualisation des moyens, l’utilisation de copies communes aux deux quotidiens permet de réduire les dépenses et d’équilibrer les budgets. Yann Fouéré devient directeur politique du quotidien finistérien alors que Marcel Coudurier conserve la direction des finances. A l’automne 1943, les deux dirigeants se séparent d’André Rouault, rédacteur en chef, jugé responsable d’une dégradation de l’ambiance de travail. Joseph Martray, déjà rédacteur de quelques articles, le remplace à ce poste.
S’appuyant sur une audience jamais connue pour le mouvement régionaliste (les deux quotidiens sont diffusés à près de 100 000 exemplaires), Yann Fouéré entend faire émerger un large mouvement favorable à une réforme régionale dans le cadre du régime de Vichy. Le militant suscite d’abord des comités locaux des « Amis de La Bretagne », premiers cercles de diffusion de ses idées. Ces comités défendront un nouveau Projet de Statut pour la Bretagne. Ce projet prévoit l’unité administrative de la Bretagne, « la mise en place d’une assemblée régionale composée d’élus municipaux, de représentants des forces économiques, professionnelles et spirituelles de la Bretagne », ainsi que l’enseignement du breton et de l’histoire de Bretagne dans les écoles. Le préfet régional Ripert, à Rennes, ne l’entend pas ainsi et, au nom de l’unité de l’Etat français, cherche à empêcher cette politique régionaliste. Yann Fouéré reconnaît avoir fait opérer ses relations afin de faire déplacer l’entreprenant préfet. Jean Quénette, alors député de Lorraine, prend sa suite en mai 1942 et La Bretagne obtient de surcroît une subvention de Vichy pour son rôle modérateur dans les milieux bretons. Pierre Laval, revenu aux affaires, veut donner l’avantage aux régionalistes face aux menées séparatistes du PNB.
Photo officielle du Comité Consultatif de Bretagne réuni au château de Josselin en Juiller 1943. De gauche à droite: Francis Even, Pierre Mocaer, abbé J.M.Perrot, Cornon (architecte des monuments historiques), Taldir, le sénateur Roger Grand, le préfet Marage, R. de L’Estourbeillon, Jean Quenette, préfet régional (au centre), A. Dezarrois (caché derrière le préfet), Mme la duchesse de Rohan, le recteur Souriau, Prosper Jardin, Yann Fouéré, James Bouillé, professeur Guéguen, Mme Galbrun, Léon Le Berre, René Daniel, le duc de Rohan, Joseph Martray tournant le visage, Florian Le Roy.
Vichy autorise la création d’un organe de réflexion, le Comité Consultatif de Bretagne (CCB), dont Yann Fouéré est le secrétaire général auprès du préfet de région (1942-44). La première réunion du CCB a lieu à Landerneau dès le début du mois de juillet 1942 avec l’appui de Hervé Budes de Guébriant. Le mois suivant, Jean Quénette, le préfet régional, reçoit des personnalités bretonnes à Rennes afin « d’examiner les aspirations de la Bretagne et les moyens de les satisfaire ». Le préfet prend alors la décision d’introduire une épreuve facultative de langue bretonne dans les concours administratifs de la région, de créer un Institut de formation des instituteurs bretonnants, installé près de Ploërmel. On retrouve un certain nombre de nationalistes bretons dans le Comité, créé le 11 octobre 1942 par le préfet de région. Comme son nom le laisse entendre, le CCB n’a pas de pouvoir de décision et d’exécution même si ses 22 membres ne désespèrent pas de le transformer, à terme, en véritable assemblée délibérant sur les questions régionales. Il reconnaît se borner à « étudier, donner son avis, présenter ses suggestions sur les questions culturelles, linguistiques, folkloriques…». Le CCB est la première assemblée représentant la Bretagne dans son ensemble depuis la suppression des États de Bretagne en 1790. Elle défends ouvertement et efficacement les droits culturels et les intérêts materiels de la population Bretonne, dans un ésprit de stricte neutralité et dans le respect de toutes les tendances. Yann Fouéré, qui anime ce Conseil, doit batailler contre les différentes administrations centrales, rétives à toute émancipation locale. En janvier 1943, le Conseil présente un Projet de Statut pour la Bretagne au gouvernement de Vichy. Ce projet réclame, entre autres, la prise en compte d’une Bretagne à cinq départements. Il n’y eut jamais de réponse des autorités vichystes et le préfet Quénette fut bientôt prié d’aller opérer ailleurs.
Avec le débarquement allié, Yann Fouéré, qui partage ses jours entre le domicile familial rennais et la direction des journaux à Morlaix, décide de faire évacuer sa petite famille à Pacé. Son épouse, les deux enfants Rozenn et Jean, s’installent dans la salle des fêtes de l’école.
Lors de la Libération de la Bretagne, le Conseil Consultatif de Bretagne tient à assurer les nouvelles autorités de sa disponibilités dans la remise en place de l’appareil administratif. Hélas, le nouveau Commissaire régional n’est autre que Victor Le Gorgeu. La diffusion des deux quotidiens est suspendue fin juin du fait de la désorganisation générale et de l’absence de système de distribution. Le PNB s’effondre. L’horizon semble s’assombrir pour les militants bretons…